Lombard de Langres Vincent - Des sociétés secrètes en Allemagne et en d'autres contrées
De la secte des Illuminés, du Tribunal secret, de l'assassinat de Koztzebue, etc.
Ni l'or, ni les honneurs ne peuvent payer mon silence.
L'orgueil, la fureur, le trépas, dans des ruisseaux de sang marchent devant leurs pas.
Un séjour de dix années en Allemagne (depuis 1804) m'avait mis à portée de rassembler pour mon instruction particulière un assez grand nombre de notes et de matériaux sur les Sociétés secrètes de ce pays, et de connaitre assez bien les personnages qui les gouvernent; j'étais loin de prévoir alors qu'il serait utile de dévoiler ces mystères. Que n'ai-je vécu dans un siècle où il me fût permis de les taire !
L’Europe éprouve une crise toute particulière. Sa situation morale et politique, tout-à-fait contre nature, annonce une catastrophe inévitable. L'arc est tendu aussi fort qu'il peut l'être, un dernier coup de cabestan rompra la corde.
Lorsque le christianisme changea la face du monde, la direction des esprits était à peu près là même qu'aujourd'hui ; les voies étaient préparées, les temps étaient venus : le pouvoir des empereurs, le paganisme, tombaient de vétusté ; et, comme le dit Cicéron, deux augures ne pouvaient se regarder sans rire.
Les premières réunions de chrétiens furent de véritables sociétés secrètes. Rassemblés dans les souterrains et dans
les cavernes, ils avaient leurs mystères, leurs initiés, leurs attouchemens, leurs stigmates ; tout est superstition chez les misérables humains. Les persécutions, les échafauds, les supplices, rien ne put relever les temples des idoles ; l'énergie des princes, leur puissance, leur génie, tout fut inutile, les idées régnantes triomphèrent.
Ce ne sont pas les rois de la terre qui gouvernent, ce sont les circonstances, c'est le hasard ; ils redoutent l'opinion, et l'opinion les entraîne à sa suite comme Jupiter entraîne ses satellites.
Les idées universelles, les idées dominantes, préparent une grande subversion. Elles datent d'un peu plus de deux siècles ; mais, si on considère le point de départ, on voit qu'elles ont marché à pas de géant.
Tout n'est pas encore changé, mais tout changera. Les promesses, les concessions que la force arrache aux souverains qui détrônèrent Buonaparte, ne fait qu'attiser ce feu dévorant qui couve au milieu des peuples depuis trente ans, et que son bras de fer avait seul le pouvoir d'étouffer.
L'Allemagne s'est insurgée quand les rois out appelé les Sociétés secrètes à leur secours ; ils ont triomphé par ce moyen dangereus, mais ils ne feront pas rentrer dans leurs outres les vents déchainés. Ces sociétés ont passé d'un rôle passif à un rôle actif ; après avoir reçu l'impulsion, elles la donnent : leurs doctrines gagnent çhaque jour du terrain, et dans peu la population entière fera partie de cette vaste conspiration du bien commun, rêvée depuis si longtemps par les Illuminés et les Idéologues.
Après avoir renversé l'homme qu'ils redoutaient le plus, ils menacent les trônes qu'ils ont défendus, et les minent en silence. J'ai à dévoiler des complots effrayans, des principes pervers, des plans dignes de l'enfer. Et qu'on ne croie pas l'Allemagne le seul foyer de l’incendie ; il brûle en Espagne, en France, en Italie, en Pologne ; il gagne la Russie ; l'Angleterre elle-même n'a pu s'en garantir.
On comprend quelle espèce d'intérêt les écrivains vendus à la secte des Illuminés ont à dissimuler la fin vers laquelle tendent les sociétés secrètes ; on explique cette assurance qu'on leur voit prendre à l'occasion d'un meurtre qui a jeté l'épouvante dans toute l'Allemagne. Leurs réticences ne viennent pas d'ignorance , mais de mauvaise foi.
Mon but est de suppléer à leur silence, de pénétrer dans le labyrinthe de l'iniquité ; d'y marcher l'histoire et les faits à la main. Lorsque j'ai écrit ce livre, je ne me suis flatté : ni de plaire ni de convaincre. La vérité nue est pour l'homme la plus violente des satires ; d'ailleurs, quand on vient révéler des choses si extraordinaires, il faut s'attendre à passer pour un visionnaire ; peut-être même les Illuminés étoufferont-ils ce livre, car ils sont puissans, et ils ont leur index.
Celui qui passe le temps à barbouiller du papier contre ceux qui trompent le public, le volent ou l'oppriment, doit
nécessairement trouver beaucoup de contradicteurs ; il doit s’attendre aux vociférations de la populace et aux invectives de l'esprit de parti. Cependant ces considérations ne m'auraient pas suffi pour garder l'anonyme; si je m'y suis décidé, c'est que je ne veux point assujettir à regagner mon domicile tous les jours avant le coucher au soleil, ni craindre toute ma vie l'aqua tofana. La secte proscrit et persécute tous ceux qui l'attaquent, et rarement ses victimes lui échappent.
Je sens qu'il ne suffit pas toujours aux yeux de certaines gens d'articuler un fait avéré ; qu'il faudrait nommer les imposteurs par leur nom, citer les écrits commencer une procédure en règle. Eh ! grands dieux ! qu'est-il besoin de tout cela quand le glaive est encore teint de sang ? Qui mérite le blâme de celui qui égorge froidement son semblable, ou de celui qui place une vedette sur le chemin des assassins ?
Nous n'écrivons point un libelle diffamatoire; c'est pourquoi nous n'avons désigné les personnages que par des initiales. Les coupables n'y gagneront rien, les dupes nous en sauront gré.
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