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Bob Morane d'Henri Verne
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Bob Morane et moi (2004)
Bob Morane - 006 Lhéritage du flibustier (1954)
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Chapitre Premier
Vers le levant, au-dessus de la mer des Caraïbes, une étroite bande rosâtre, tracée comme au pinceau juste au-dessus de la ligne dhorizon, annonçait le jour proche. Leau sombre du port, sur laquelle la lune jetait encore ses reflets dargent, semblait endormie, comme le port lui-même dailleurs, et les bateaux, pour la plupart des voiliers de pêche ou de cabotage, amarrés le long du warf mal empierré, poursuivaient on ne savait quels rêves de découvertes. Au-delà de la jetée, derrière les bâtiments portuaires aux toits de tôle ondulée, San Felicidad sétageait à flancs de montagne, encore assoupie dans la chaude quiétude de la nuit tropicale.
Sur le warf, un homme marchait à pas comptés, prenant garde de ne pas se prendre le pied dans quelque trou ou de ne pas heurter le corps de quelque pêcheur assoupi. On eut pu, dans lobscurité relative de cette fin de nuit, le prendre pour un bossu, mais, en y regardant mieux, on se rendait compte que sa pseudo-bosse était un lourd sac tyrolien quil portait sur le dos, à la façon dun soldat.
Lhomme était grand et de carrure athlétique. Son visage, quoique jeune, était marqué, tanné par le soleil et tous les vents du monde, et ses cheveux noirs, coupés courts, lui donnaient vaguement lair dun militaire nouvellement démobilisé. Là sarrêtait dailleurs la ressemblance, car linconnu portait une chemise au col ouvert, une veste de chasse, un pantalon de grosse toile bleue du type « blue-jeans » et des espadrilles à semelles de corde.
Du regard, lhomme inspectait les voiliers à lamarre, comme pour y déceler un signe de vie quelconque. Mais rien ne bougeait et, entre ses dents serrées, le promeneur matinal se prit à maugréer :
Je me demande bien comment je vais pouvoir atteindre Zambara. Pas de lignes régulières et, si je ne trouve pas un quelconque rafiot dont le patron ne craindrait pas les foudres du président Gomez, il faudra me résoudre à prendre lavion, comme un vulgaire touriste
Je métais pourtant bien promis de commencer et de terminer ce voyage en clochard ou, tout au moins, en boy-scout.
Il se mit à rire et murmura encore :
Bob Morane, le raccommodeur dassiettes brisées, le Chevalier des Plaies et des Bosses, voyageant pour son plaisir, et en boy-scout encore ! Cest à ne pas y croire. La Martinique, la Guadeloupe, les Iles Vierges, Porto-Rico, Haïti, Cuba, le Mexique, San Felicidad, et le tout sans une seule aventure qui vaille réellement la peine dêtre contée. Si cela continue, ce périple caraïbe va se terminer à la façon dun voyage de lAgence Cook. À moins que cela ne finisse par tourner mal, ce qui, avec ma fichue habitude dattirer la foudre, ne métonnerait guère.
Morane haussa les épaules. « Inutile de se tourmenter à lavance sur ce qui arrivera ou narrivera pas demain. Limportant, pour linstant, est de trouver le moyen de continuer mon voyage de la même façon que je lai commencé »
Bob Morane - 033 La couronne de Golconde (1959)
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Chapitre Premier
Létrave du paquebot Gange fendait, telle une gigantesque hache, les eaux calmes et bleues de locéan Indien qui souvraient devant elle en un double sillon dargent. Dans le ciel, dun bleu plus pâle que la mer, le soleil ressemblait à une énorme pièce de métal chauffé à blanc. Laprès-midi était déjà assez avancé et, pendant que le navire de toute la puissance de ses diesels, filait en direction de lest, un groupe de spectateurs entourait, dans le salon des secondes, deux hommes assis de part et dautre dune table et qui se livraient à une partie de poker acharnée. Le premier de ces hommes était un petit Méridional à la moustache dessinée comme au pinceau, aux cheveux noirs soigneusement calamistrés, et dont le complet de palm-beach gris clair flottait autour dun corps maigre, comme desséché. Le second joueur, lui, était un homme de haute taille, aux cheveux bruns et lisses, aux traits grossiers et au teint fleuri et dont la mine réjouie ainsi, dailleurs, que la liasse de billets posée devant lui montrait clairement combien la chance lui était favorable.
Une nouvelle fois, le joueur au complet de palm-beach distribua les cartes, cinq à son vis-à-vis, cinq à lui-même. Ensuite, quand chaque joueur se fut emparé de son jeu, le donneur interrogea son adversaire du regard, mais lhomme au teint fleuri se contenta de secouer la tête négativement en disant du bout des lèvres :
Pas de cartes
Servi
Lentement, le Méridional écarta deux cartes et en prit deux autres. Alors, son adversaire poussa négligemment devant lui cinq billets de mille francs qui allèrent sajouter à la mise initiale, au centre de la table. Une telle prodigalité ne parut pas étonner lhomme au complet de palm-beach, qui, déposant dix mille francs sur les autres billets, déclara dune voix assurée :
Cinq mille
plus cinq mille
Un peu de surprise se peignit sur les traits de lhomme au teint fleuri.
Eh ! Eh ! comme vous y allez, lami, dit-il. Est-ce que, par hasard, la chance tournerait ?
Il haussa les épaules et sourit. Ensuite, lentement, comme à regret, il poussa devant lui cinq nouveaux billets de mille francs, pour dire encore :
Cinq mille, pour voir
Avec le geste à la fois triomphant et mystérieux du prestidigitateur en train de sortir un rhinocéros de son haut-de-forme, le Méridional étala son jeu sur la table, pour dire dune voix remplie dune douce satisfaction :
Quatre dames !
Les quatre dames étaient là et, à leur vue, le visage de lhomme au teint fleuri se ferma.
Ma parole, lami, dit-il dune voix sourde, voilà un fameux jeu !
Il sinterrompit, éclata de rire, puis continua :
Malheureusement, je me vois obligé de vous décevoir en vous montrant quatre as
Il retourna son jeu et montra en effet quatre as. Lhomme au complet de palm-beach se dressa dun bond et repoussa les cartes avec mauvaise humeur.
Décidément, monsieur Jason, je préfère laisser ma place à un autre. Vous avez trop de chance
Beaucoup trop de chance
Quand le Méridional eut quitté le salon pour gagner le pont, le dénommé Jason attira à lui largent quil venait de gagner, et qui vint grossir la liasse, alluma une cigarette puis, se renversant sur sa chaise, dit à ladresse des assistants :
Sans doute, messieurs dames, avez-vous entendu ce que vient de dire mon infortuné adversaire : « Je préfère laisser ma place à un autre » eh bien cette place est toute chaude ! Avis à qui veut la prendre pour augmenter le magot dHubert Jason. Hubert Jason, le Roi du Poker. Hubert Jason, qui aide les gens riches à soulager le trop-plein de leurs portefeuilles. Opération sans douleur. Quon se le dise !
Bob Morane - 035 L'Ombre Jaune (1959)
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Chapitre Premier
Londres. La nuit pesait lourdement, en ce début de printemps, sur Green Park désert, dont une brume légère voilait les frondaisons jusquà leur donner un aspect de paysage onirique, à mi-chemin de la fantasmagorie et de la réalité. Sur la droite, si lon se tournait vers la boucle de la Tamise, on distinguait les silhouettes estompées de Buckingham Palace et des Royal Mews.
Il était près dune heure du matin et les constables Wilkins et McReady, qui longeaient Constitution Hill en direction du Mall, avaient lair de sennuyer ferme durant leur ronde. Ils allaient avec cette assurance paisible dhommes ayant derrière eux toute la puissance de la loi anglaise, mais aussi avec ce détachement propre à ceux qui ne trouvent aucun plaisir à lexistence.
McReady, géant au visage de pugiliste et aux poings pareils à des masses de carriers, faits pour la bagarre, devait ressentir plus particulièrement cet ennui, car il posa son énorme poigne sur lépaule de son compagnon, en disant :
Si tu veux mon avis, mon vieux Wilkins, la vie de policier ne vaut pas la peine dêtre vécue. Les malfaiteurs sont devenus des clampins. Sils aperçoivent un casque de loin, pfft, plus personne. Ah ! où est le bon vieux temps du Blitz ? Les bombes tombaient comme grêle mais, au moins, il y avait à faire dans le secteur
Wilkins ne répondit pas. Il se contenta de soupirer, marquant ainsi un accord total avec les paroles de son compagnon.
Tournant à gauche dans Constitution Hill, les deux représentants de la loi sengagèrent dans une allée filant à travers le parc, en direction de Piccadilly. Ils marchaient depuis une dizaine de minutes environ, quand une tache blanche, devant eux, attira leur attention. Tout dabord, ils ne distinguèrent pas très bien de quoi il sagissait, car les ténèbres étaient assez épaisses ; mais une torche électrique jaillit comme par miracle dans la main de Wilkins et le cône de lumière jaune éclaira une forme humaine étendue sur un banc, au bord de lallée. Le dormeur mais était-ce bien un dormeur ? portait une chemise immaculée, dont la blancheur avait seule attiré lattention des policemen. Ceux-ci sapprochèrent et se rendirent compte que lhomme portait un manteau noir, léger, ouvert sur un smoking. Non loin de lui, sur le sol, gisait un chapeau melon. A son visage aux traits fins, mais déjà marqué, aux cheveux gris tachant ses tempes, on pouvait déduire que linconnu avait dépassé la quarantaine.
Drôle didée de choisir un banc de parc pour dormir, surtout en cette saison, fit lagent Wilkins.
Déjà, McReady avait saisi lhomme par lépaule et le secouait, en disant à haute voix :
Allons, lami, debout ! Rentrez chez vous et mettez-vous au lit. Jusquici, on na encore rien inventé de mieux pour bien dormir.
Mais le policier eut beau secouer le gentleman de toutes ses forces, et il en avait, il ne parvint pas à larracher à son inertie.
Si vous voulez mon avis, Mac, fit remarquer Wilkins, cet homme est aussi saoul quune demi-douzaine dÉcossais.
Ne dites pas de mal des Ecossais, Wilkins. Vous savez que je suis fort chatouilleux à ce sujet
Mais vous avez raison. Pour dormir aussi profondément, ce particulier doit être ivre mort pour le moins.
Le géant se pencha sur le visage de lhomme en smoking et renifla à la façon dun chien de chasse flairant une piste. Au bout dun moment, il se redressa et secoua la tête.
Pas la moindre odeur dalcool, constata-t-il. Et, comme vous le dites, un Ecossais sy connaît.
A nouveau, il secoua le gentleman, mais toujours sans obtenir la moindre réaction de sa part. Les deux policiers échangèrent un long coup dil, puis Wilkins demanda dune voix sans timbre :
Serait-il
?
McReady hocha la tête.
Bob Morane - 040 Le diable du Labrador (1960).pdf (560.05 KB)
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Chapitre Premier
Flac !
Flac !
Flac !
Le fouet en cuir de caribou claquait dans lair, manié par un bras herculéen, et sabattait sans relâche sur léchine du grand chien gris entravé et qui pourtant faisait face, les yeux fulgurants, le poil hérissé, les dents découvertes en un redoutable piège divoire.
Ah ! tu veux courir libre comme tes frères les loups !
Ah ! tu fausses compagnie à ton maître !
Eh bien ! prends ça
Et ça !
Et encore ça !
Je vais tapprendre à être docile !
Lindividu qui criait ces paroles dune voix rauque, brutale, était un géant tenant autant de lours que de lhomme, avec sa tête mal équarrie posée directement sur un torse épais et large. Dans le visage plat, envahi par une barbe hirsute, deux petits yeux noirs et ronds brillaient, sous un front fuyant, aux arcades sourcilières proéminentes, comme des morceaux de charbon poli. Le nez était cassé et la bouche, lippue, souvrait sur des dents inégales et saillantes.
Un cercle de curieux entourait le colosse et son impuissante victime : bûcherons à chemises à carreaux, trappeurs à vestes de daim et à bonnets de racoon . Tous des êtres rudes, nayant pas froid aux yeux. Pourtant, aucun dentre eux ne semblait soucieux dintervenir, ne tenant pas sans doute à sattirer la colère du géant, dont les bras et les jambes, épais comme de jeunes sapins, disaient assez la vigueur.
Finalement, comme le fouet de caribou ne cessait de retomber, une voix séleva :
Arrêtez donc, Rocky ! Vous allez le tuer
Oui, et cela ne vous servira à rien, fit une autre voix. Pourquoi ne pas essayer plutôt de refiler ce maudit Satan à une autre « poire » de votre espèce ?
Peut-être, Rocky, fit un troisième spectateur, seriez-vous moins brave si Satan était détaché. Il serait capable de vous ouvrir la gorge dune oreille à lautre avant même que vous ayez le temps de dire « ouf ! ».
Le fouet retomba et, lentement, le monstrueux Rocky se tourna vers ceux qui venaient de parler.
Une lueur mauvaise brillait dans ses regards.
Si lun de vous a quelque chose à dire, jeta-t-il, quil savance !
Personne ne broncha. Alors, le géant éclata de rire.
Facile de parler dans le dos des gens ! déclara-t-il. Mais, quand cest le moment den découdre, plus personne !
Tous des couards !
Tous des lâches !
Ah !
Ah !
Ah !
Ah !
À ce moment, il y eut un remous dans la foule des badauds, tandis quune voix bien timbrée et décidée clamait :
Sil y a un lâche et un couard ici, cest vous, espèce de gros plein de soupe !
Une stupéfaction totale se peignit sur le mufle de Rocky, car jamais personne sans doute, à Little Creek et à des kilomètres à la ronde, navait osé lui parler de la sorte. Un homme venait dapparaître. Il était jeune, de haute taille, mince mais de carrure athlétique et portait avec aisance une veste écossaise à franges, un grossier pantalon de velours et des mocassins. Son visage énergique, durement taillé par une existence passée au grand air, était surmonté par des cheveux noirs et drus. Ses yeux gris, qui ne cillaient pas, se posaient sur toute chose avec une assurance qui aurait fait hésiter les plus braves. Rocky cependant, confiant dans sa force, ne parut guère impressionné. Un il à demi fermé, le fouet pendant négligemment à bout de bras, il demanda dune voix rauque :
Qui êtes-vous donc, gentleman ?
Mon nom est Robert Morane, répondit lhomme aux cheveux en brosse. Bob pour les intimes, donc pas pour vous ni pour aucun individu de votre sorte.
Une grimace féroce crispa les traits, déjà fort peu séduisants, de Rocky.
Bob Morane - 046 Le temple des crocodiles (1961)
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Chapitre Premier
Ce soir-là, cétait fête au palais Mamoudi, qui dressait, sur une éminence, au bord du Nil, ses colonnades de marbre blanc et ses balcons aussi gracieusement ouvrés que des dentelles de Bruges. Fête parce que le maître de céans, Omar Mamoudi, le richissime collectionneur égyptien, y offrait une réception en lhonneur des soixante ans du professeur Clairembart, larchéologue français de renom. Deux amis du professeur accompagnaient ce dernier : le célèbre commandant Morane - Bob pour les intimes - et Bill Ballantine, dont les aventures et mésaventures communes à travers le monde ne se comptaient plus.
On en était au moment où Omar Mamoudi débouchait une précieuse bouteille de Champagne dont, de ses mains vigoureuses mais racées, il entreprenait de faire sauter le bouchon.
Mamoudi était un homme dune cinquantaine dannées mais qui, à part des cheveux gris dacier tranchant sur la couleur sombre de sa peau, en paraissait quarante à peine. Son visage au nez courbe, aux lèvres un peu lippues, était lisse comme celui dun jeune homme, et son smoking dalpaga blanc et brillant laissait deviner un torse dathlète bien entraîné. Sous les arcades sourcilières proéminentes, ornées de sourcils épais et noirs, des yeux sombres et brillants, trop brillants, dénotaient une âme vibrant dune passion doù tout fanatisme ne devait pas être exclu.
Le bouchon sauta avec un bruit de pétard et le liquide pétillant et doré coula dans les coupes de cristal taillé. Sa mission déchanson accomplie, lÉgyptien reposa la bouteille et, saisissant son verre plein, le leva à hauteur de son visage en disant :
Eh bien ! buvons à présent aux soixante ans de notre cher ami Aristide Clairembart.
Oui, buvons, fit joyeusement Bob Morane. À vous, professeur !
À vous, professeur, enchaîna Ballantine. Cela fait au moins cinq années de suite que nous buvons, le commandant et moi, à ces soixante ans-là. Pourtant, ce qui compte ce nest pas lâge que lon a réellement, mais celui que lon paraît
Clairembart sourit.
Non, Bill, le seul âge qui compte, cest celui du cur. Et je me sens vingt ans à peine
Morane hocha la tête.
Si vous parlez de lâge du cur, professeur, ce nest pas soixante ans que vous avez, ni même vingt, mais dix
Cest trop, beaucoup trop, sécria à son tour Omar Mamoudi. Cest cinq ans à peine qua notre ami Aristide. Cinq ans à peine
Disons quil nest pas encore né, comme cela tout le monde sera content, jeta Bill avec un gros rire. À votre naissance, professeur !
À son tour, larchéologue leva sa coupe en disant :
Et à votre santé, vénérables ancêtres !
Ils burent et, quand ils reposèrent leurs coupes, elles étaient vides, sauf celle de Bill, qui demeurait aux trois quarts pleine. LÉcossais ne put se retenir de faire la grimace, et de remarquer :
Dire quil y a dans cette maison assez de whisky pour y faire flotter toute une escadre cuirassée, et lon moblige à avaler ce breuvage de grenouilles
On sait que les crapauds buffles naiment que leau impure des marais, lança Bob qui, ne mangeant jamais, par principe, de cuisses de grenouilles, naimait guère quon le traitât de « grenouillard »
Se jugeant quitte, Bob et Ballantine ne trouvèrent pas utiles de pousser plus loin cette petite joute oratoire. Les quatre convives se rassirent pour reprendre leur conversation là où ils lavaient laissée au moment de porter le toast.
Bob Morane - 105 Une rose pour l'Ombre Jaune (1970)
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Chapitre Premier
Il était une fois vers 1317 après J.-C. pour être plus précis une jeune comtesse, en outre belle, veuve et riche, qui habitait un merveilleux château, entouré de merveilleux jardins, au sommet dune colline qui dominait le Rhône et doù lon avait une vue grandiose sur Avignon, cité à demi sainte depuis que le pape, par la volonté du roi Philippe le Bel, était contraint dy habiter.
La jeune comtesse sappelait Isabeau de Rocadour. Jai dit quelle était belle, et elle létait car, dans ces pays doc où les poètes étaient aussi nombreux quherbes au bord du chemin, on comparait sa chevelure dun noir bleuté au plus beau morceau dune nuit dété, ses yeux à des fragments détoiles, sa bouche à une framboise fraîche cueillie et sa peau au plus précieux satin dOrient ; veuve parce que son mari, Adrian de Rocadour, vieux assez pour être son aïeul, était mort deux ans plus tôt, non dun haut fait darmes accompli au service de sa dame, mais dune vulgaire chute de cheval ; riche parce quen mourant Adrian lui avait laissé dopulentes terres englobant toutes les collines et plaines jusquau-delà de lhorizon, des milliers de serfs, dix châteaux et des trésors que ses ancêtres, plus avides de rapines que de sainteté, avaient ramenés de Palestine.
Tout dabord, pour sacrifier à la tradition, Isabeau avait pleuré son époux, et on avait comparé ses larmes aux perles de locéan, et ses vêtements de deuil avaient été les plus beaux vêtements de deuil quon avait vus de mémoire dhomme. Puis Isabeau sétait consolée, parce quil y avait ce soleil lumineux comme la joie elle-même, toutes ces belles choses qui lentouraient, ces troubadours qui navaient pas assez de mots pour lui dire quelle était la plus belle et surtout parce quelle avait vingt ans.
On ne sera pas étonné dapprendre que la beauté dIsabeau et aussi sa fortune attirait vers elle une foule de prétendants empressés. Parmi eux, Yoland de Montalde était le seul qui pût être agréé. Il avait vingt-cinq ans et était lun des plus beaux chevaliers que lon pût voir. Sa haute taille, ses cheveux couleur de paille et ses yeux bleus, dans un visage aux traits à la fois durs et purs, disaient quil descendait sans doute de ces Vikings qui, jadis, étaient venus du Nord, et cela lui donnait un charme particulier dans ce pays dhommes bruns et courts, qui fleuraient lail. La prestance de Yoland ne le cédait en rien à la beauté de son visage, et il avait si fière allure que même, lors des tournois, quand le grand heaume de joute à cimier un cygne noir à deux têtes cachait ses traits, toutes les jouvencelles se poussaient du coude pour ladmirer. Mais Yoland de Montalde ne combattait et ne triomphait que sous les couleurs dIsabeau de Rocadour.
Ladite Isabeau ne pouvait, de son côté, dissimuler un penchant pour le bel Yoland. En outre, celui-ci possédait des richesses au moins égales aux siennes, et on ne pouvait le soupçonner de convoiter la jeune veuve par intérêt. Celle-ci se sentait souvent disposée à accéder aux demandes de plus en plus pressantes du chevalier de lui accorder sa main, dunir leurs jeunesses et leurs fortunes. Pourtant, elle hésitait. Fêtée, entourée, courtisée, libre dagir à sa fantaisie, de sentourer de tout le luxe quelle désirait, de prendre toutes les décisions quil lui plaisait, elle appréhendait de se livrer à la férule dun époux qui, suivant la loi féodale, aurait presque droit de vie et de mort sur elle. Sans doute Yoland de Montalde nuserait-il pas de ce droit, mais seule et libre elle était heureuse, et le bonheur ne se double pas.
Bob Morane - 137 Les jeux de l'Ombre Jaune (1976)
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Chapitre Premier
Promises saison après saison aux bulldozers et aux béliers des démolisseurs, les maisons se faisaient face dans la nuit, de chaque côté de la rue déserte, quelque part entre La Défense et Neuilly.
Lendroit faisait songer aux tristes vestiges dune ville morte sur une planète abandonnée.
À moins de dix minutes de marche, cependant, on nen finissait pas de bâtir le Paris de lan 2000, mais il semblait pourtant que, dans leur rage destructrice, les promoteurs eussent oublié cette rue et ces maisons vides dont on avait exproprié les habitants bien des années plus tôt. Tous feux éteints, la Rolls-Royce une Phantom V sengagea silencieusement entre les maisons. Dépais gravats sécrasèrent en crissant sous les pneus aux flancs blancs, et cétait là le seul bruit marquant le passage de la puissante voiture.
La Rolls simmobilisa. Ses phares sallumèrent un bref instant, et la rue apparut, figée dans la lumière jaune et crue, avec ses demeures en ruine, les façades lépreuses et leurs fenêtres sans vitres, les monceaux de débris accumulés sur la chaussée et les trottoirs.
Puis, de nouveau, ce fut lobscurité. Pas pour longtemps. À lautre extrémité de la rue, dautres phares répondirent au signal. Deux grands yeux ronds qui souvrirent pour se refermer aussitôt, trois fois de suite. Et la rue morte parut revivre soudain, comme sous les éclairs artificiels dun orage de théâtre. Toujours silencieuse, la Rolls fit marche arrière, en même temps quun demi-tour. Son pare-chocs effleura un tas de briques vomies par une muraille démantibulée. La grosse voiture pointa ensuite le bouchon doré de son radiateur dans la direction doù elle était venue. Les rumeurs lointaines et confuses quexhalait Paris couvraient le doux bourdonnement
du moteur à peine le ronronnement dun chat. La Phantom V stoppa pour de bon. Le moteur sarrêta de tourner. Lune des portières souvrit et Monsieur Ming mit pied à terre. Aussi naturellement que sil avait été un homme comme tous les autres.
*
Des nuages bas réfléchissaient les lueurs vagues de la ville sur la rue oubliée et, sous cette lumière diffuse et rosée, le crâne chauve du Mongol luisait doucement. Les regards étrangement fixes des yeux couleur dambre fouillèrent lautre bout de la rue, perçant lobscurité. Là-bas, un démarreur toussota sèchement, et les façades décrépies des maisons se renvoyèrent tout à coup les échos bruyants dune pétarade de moteur. En cahotant, un camion roula lentement vers lendroit où se tenait lOmbre Jaune. Lumières éteintes, le lourd véhicule stoppa à peu près à mi-chemin entre les deux extrémités de la rue, et des silhouettes sombres sen échappèrent aussitôt pour bondir sur le sol.
Impassible, aussi immobile quune statue plantée à côté de la Rolls-Royce, Monsieur Ming observa le silencieux manège des hommes déchargeant le camion. Il avait croisé les bras sur la poitrine, et un léger sourire tordait ses lèvres minces, tandis quil ne perdait pas un geste des silhouettes qui sagitaient à moins de trente mètres, en un incessant va-et-vient entre le camion et la maison devant laquelle il venait de sarrêter. Très vite, les hommes disparurent définitivement à lintérieur de la bicoque. Quelques-uns dentre eux seulement demeurèrent à lextérieur, pour tirer du camion plusieurs panneaux quils entreprirent de dresser contre la façade, les assemblant rapidement et habilement. Sans un bruit. Sans échanger un seul mot. Puis, ces hommes furent également avalés par la maison. Le démarreur du camion toussa de nouveau, et le bruit du moteur emplit la rue, tandis que le véhicule reculait, senfonçant dans lombre dont il était sorti quelques minutes plus tôt à peine.
Bob Morane - 149 Le soleil de l'Ombre Jaune (1979)
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Chapitre Premier
La salle était vaste. Cinquante mètres sur vingt-cinq environ. À en juger par son plafond en forme de coque de vaisseau retourné et ses poutres apparentes, il devait sagir dun ancien grenier aménagé. Sans doute occupait-il le dernier étage dune vieille maison de maître, ou dun château. Les espaces entre les poutres étaient recouverts dun capitonnage de soie bouton-dor. Une épaisse moquette de même couleur masquait le plancher.
Au premier regard, on aurait pu se demander si ce grenier navait pas été transformé en musée. Partout, des meubles chinois de haute époque. Des vitrines contenaient dimpressionnantes collections de terres cuites funéraires dépoque Tang, ou de bronzes Tcheou.
Un musée ?
Peut-être
Si tout le fond de la salle navait pas été occupé par la masse dacier satin dun gigantesque ordinateur. Sil ny avait pas eu également cette grande cloche oblongue, en matière plastique transparente, sous laquelle un homme reposait, allongé. Cétait un individu jeune encore, mais au visage déjà ravagé. Et borgne en plus. Un de ses yeux le droit était dissimulé sous un bandeau noir, semblable à ceux dont limagerie populaire a doté les pirates. En réalité, sous ce bandeau se cachait un il artificiel en polyméthylméthacrylate doté dun minuscule ordinateur branché directement à un faux nerf optique raccordé à la zone visuelle du cortex. Un il capable de voir aussi bien, sinon mieux, quun vrai.
Lhomme, lui, sappelait Jules Laborde, alias lHomme-aux-seize-mémoires, alias le Tigre. Au début, Jules Laborde nétait quun pauvre clochard, une épave humaine dont la seule ambition était davoir, le plus souvent possible, une bouteille de mauvais vin pour se soûler.
Sans doute en aurait-il été ainsi jusquà sa mort des suites dune cirrhose du foie, si son chemin navait pas croisé celui du professeur Missotte. Philippe Missotte, le célèbre biologiste. Laborde avait été sa victime, son cobaye humain. Mais pas seulement Laborde. Il avait eu également quatorze autres victimes. Quatorze savants fameux dont Missotte avait transféré les mémoires, les connaissances dans le cerveau du clochard.
Les quatorze savants étaient morts du traitement qui leur avait été infligé. Jules Laborde, lui, avait survécu. Le professeur Missotte avait voulu en faire un surhomme. Il était devenu un surhomme, et même bien davantage.
Après filtrages et traitements, les molécules des cerveaux des quatorze savants avaient été transférées par injections successives dans le cerveau du clochard, demeuré bien vivant. Laborde avait ainsi possédé quatorze mémoires en plus de la sienne.
Quinze mémoires pour un seul homme ! Cétait déjà beaucoup. Pourtant, Missotte navait pas réussi à garder son expérience tout à fait secrète, et on lavait obligé à injecter à Laborde la mémoire dun tigre nommé Kâla. À partir de ce moment, Jules Laborde était devenu lHomme-aux-seize-mémoires. On lavait aussi surnommé le Tigre.
Avec les mémoires des quatorze savants et la somme de leurs savoirs, Jules Laborde aurait pu devenir un surhomme tourné vers le bien. Mais on lui avait fait présent également dune cruauté bestiale. Il avait commencé par faire périr les responsables de cette dernière opération. Ensuite, une fois Missotte mort, il sétait dressé contre lhumanité, à laquelle il avait déclaré une guerre acharnée.
Se servant danciennes mines, dans le désert du Nouveau-Mexique, le Tigre sétait constitué une base doù il comptait lancer ses attaques. Mais, déjà, un changement était en train de sopérer chez Jules Laborde. Peu à peu, le clochard amateur de gros rouge reprenait en lui le pas sur les quatorze savants dont on lui avait donné les mémoires. Lentement, il perdait ses facultés surhumaines.
Bob Morane - 202 Les nuits de l'Ombre Jaune (2006)
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Chapitre Premier
QUI EST LOMBRE JAUNE ?
Mongol ou Mandchou, ou Chinois, on ne sait exactement , il se prétend vieux de plusieurs siècles et descendant de lempereur Ming Tai Tsou. De haute taille, le crâne rasé, il est presque toujours vêtu dun costume sombre de clergyman. Ses yeux jaunes, couleur dambre, possèdent un pouvoir hypnotique auquel il est difficile déchapper. Sa main droite, postiche, est un chef-doeuvre de technique. Il la eue tranchée au cours dun combat contre Bob Morane.
Principal ennemi de Bob Morane, Ming ne peut sempêcher déprouver un sentiment dadmiration pour lui. LOmbre Jaune, qui est le surnom que monsieur Ming se donne lui-même, connaît toutes les langues vivantes et mortes. Son savoir est universel. Sa science est en avance sur toutes les connaissances humaines. Il est le chef du Shin Tan (Vieille Chine), mouvement apolitique qui veut dominer le monde pour forcer les hommes à retourner à un état plus proche de la nature. Mais, pour y arriver, Ming ne croit quà la violence, et il use des pires moyens. Grâce à sa science, il a pu porter sa lutte dans les espaces interplanétaires, ou à travers le Temps. Ses complices habituels sont les dacoïts, tueurs professionnels fanatisés et dont lunique arme est le poignard. Il lui arrive également demployer des étrangleurs thugs. Ses richesses sont illimitées et il les accroît encore quand loccasion sen présente. La nièce de Ming, Tania Orloff, jeune Eurasienne dune grande beauté, est secrètement éprise de Bob Morane. Bien que condamnée par serment à être la complice de son oncle, elle aide en sous-main Bob Morane à le combattre. LOmbre Jaune a réussi à mettre au point ce quil est convenu dappeler un « duplicateur » de matière.