[large]Le manuscrit de Voynich[/large]
(Yale University, MS-408)
[small]Manuscrit de Voynich.zip (38.5 Mo)[/small]
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[center]Le Ringard l'affirme :
c'est le délire d'un buveur de bière[/center]
[justify][small]Le manuscrit de Voynich est un livre écrit à l?aide d?un alphabet inconnu, dont le sujet est inconnu. Son contenu n?a pour l?instant pas été déchiffré. Selon les estimations les plus couramment admises, il aurait été écrit entre 1450 et 1520. Ce qui impressionne, c?est l?organisation du manuscrit en différentes sections amplement illustrées. Les spécialistes du décodage, notamment ceux de la 2nde Guerre Mondiale, ne sont pas parvenus à comprendre ne serait-ce qu?une ligne.[/small][/justify]
[justify]Le mystère du manuscrit de Voynich
[small]Pour la Science no 323, Septembre 2004[/small]
Gordon Rugg est professeur au Département de mathématiques et d'informatique de l'Université de Keele, en Angleterre, et rédacteur en chef de la revue Expert Systems.
Une nouvelle analyse d'un document médiéval énigmatique suggère qu'il ne contient que des suites de mots dépourvues de sens.
En 1912, Wilfrid Voynich, un libraire américain spécialiste de livres rares, fit la découverte de sa vie dans la bibliothèque de la Villa Mandragone près de Rome: un manuscrit de quelque 230 pages écrit en caractères étranges et illustré de surprenants dessins de plantes, de sphères célestes et de baigneuses. À première vue, le manuscrit ressemblait à un manuel d'alchimiste ou d'herboriste, mais il était entièrement codé. Certains détails des illustrations suggéraient que l'ouvrage avait été rédigé entre 1470 et 1500, et une lettre du XVIIe siècle jointe au manuscrit indiquait qu'il avait été acheté en 1586 par l'Empereur Rodolphe II. Le manuscrit avait ensuite disparu jusqu'à ce que Voynich le redécouvre.
Voynich a demandé aux meilleurs cryptographes de l'époque de décoder les caractères étranges, qui ne correspondent à aucune écriture connue. Cependant, après 90 années d'efforts, personne n'a été capable de déchiffrer le manuscrit, et sa nature comme son origine restent un mystère. Devant ces échecs répétés, on a commencé à douter de l'existence d'un message à déchiffrer: le manuscrit de Voynich est peut-être un canular sophistiqué dépourvu de sens.
Comment un mystificateur aurait-il pu concevoir 230 pages présentant tant de régularités dans la structure et la répartition des mots? Le manuscrit de Voynich semble trop compliqué pour n'être qu'un assemblage de mots incohérent. J'ai toutefois découvert que l'on peut reproduire bon nombre de ses caractéristiques à l'aide d'un outil de codage simple qui existait au XVIe siècle. Le texte engendré grâce à cette technique ne peut évidemment avoir de sens, mais il ressemble pourtant étrangement au manuscrit original. Ce résultat ne prouve pas que le manuscrit de Voynich soit une mystification, mais il renforce la théorie selon laquelle un aventurier anglais du nom d'Edward Kelley aurait fabriqué le document pour escroquer Rodolphe II. L'empereur aurait acheté l'?uvre 600 ducats, soit près de 50 000 euros actuels.
La première tentative de décryptage du manuscrit de Voynich à l'époque moderne date de 1921. William Newbold, un professeur de philosophie de l'Université de Pennsylvanie, a remarqué que chaque caractère de l'écriture du manuscrit, souvent appelée « voyniche », présentait de minuscules traits visibles au microscope. Selon lui, ces traits étaient des coups de plume et formaient une sténographie grecque ancienne. En interprétant ce code, Newbold a prétendu que le manuscrit de Voynich avait été écrit par le philosophe du XIIIe siècle Roger Bacon. Quelques années plus tard, cependant, on s'est aperçu que les traits microscopiques n'étaient en fait que des craquelures naturelles de l'encre.
L'oeil du bébé dieu
L'essai de Newbold a été le premier d'une série d'échecs. Dans les années 1940, les décodeurs amateurs Joseph Feely et Leonell Strong ont tenté de substituer des lettres romaines aux caractères voyniches, mais les diverses transcriptions n'ont donné aucun résultat sensé. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les cryptographes de l'armée américaine se sont essayés à décoder des textes cryptés antiques. Tous ont livré leurs secrets, à l'exception du manuscrit de Voynich. En 1978, le philologue amateur John Stojko a déclaré que le texte était de l'ukrainien dont on avait supprimé les voyelles. Sa traduction ne correspond cependant ni aux illustrations du manuscrit ni à un quelconque élément de l'histoire ukrainienne, et comporte des phrases telles que «le vide est ce pour quoi lutte l'?il du bébé dieu»! En 1987, un médecin nommé Leo Levitov a affirmé que le document était l'?uvre des Cathares et qu'il était écrit avec un mélange de mots de différentes langues, mais son interprétation ne concorde pas avec la théologie cathare.
Les spécialistes s'accordent pour dire que toutes ces tentatives de décodage sont entachées d'une grande ambiguïté. Un mot voyniche peut y être traduit de diverses façons selon son emplacement dans le texte. La solution de Newbold nécessitait ainsi le décryptage d'anagrammes. Ober, par exemple, peut être interprété comme robe, orbe ou bore, ce qui introduit une certaine imprécision. À l'inverse, aucune de ces méthodes ne permet de coder un texte en clair en un texte crypté présentant les propriétés du voyniche.
Si le texte n'est pas un code, peut-être est-il un langage non identifié ? Pour représenter les mots du manuscrit, il existe une convention de translittération des caractères voyniches en lettres romaines, «l'alphabet voyniche européen». Une analyse statistique du texte révèle une très grande régularité. Les mots les plus courants apparaissent souvent plus de deux fois dans une ligne. Par ailleurs, le texte présente un taux de répétition qui n'a d'équivalent dans aucun langage connu. Dans le folio 78 recto, par exemple, on lit qokedy qokedy dal qokedy qokedy. Inversement, le voyniche contient très peu de phrases dans lesquelles plus de trois mots différents apparaissent ensemble. Ces caractéristiques rendent improbable que le voyniche soit un langage humain: il est trop différent de toutes les autres langues.
Autre possibilité, le manuscrit est un canular échafaudé pour réaliser une escroquerie, ou une élucubration de quelque fou érudit. Sa complexité linguistique semble infirmer cette théorie. Outre la répétition de mots, on observe de fortes régularités dans leur structure même. La syllabe qo, très fréquente, ne se rencontre qu'en tête d'un mot. La syllabe chek peut apparaître au début d'un mot, mais quand la syllabe qo est aussi présente, elle la précède toujours. La syllabe dy apparaît habituellement en fin de mot, parfois au début, mais jamais au milieu. Une combinaison aléatoire de syllabes ne produit pas autant de régularités.
Le voyniche est aussi beaucoup plus complexe que tous les langages pathologiques connus dus à des troubles psychologiques ou à des lésions cérébrales. Même si un fou avait inventé une grammaire et une écriture correspondante, le texte obtenu ne présenterait pas les propriétés statistiques du manuscrit de Voynich. Les longueurs des mots du voyniche, par exemple, suivent une distribution binomiale : les mots les plus courants comptent cinq à six caractères et la fréquence des mots de longueur différente de cette valeur décroît fortement, dessinant une courbe en cloche symétrique. Cette distribution est très rare dans les langages humains. La répartition des longueurs des mots y est plus étalée et asymétrique, les mots relativement longs étant assez fréquents. Il est très improbable que la distribution binomiale du voyniche soit une propriété délibérée, car ce concept statistique n'a été inventé que plusieurs siècles après la rédaction du manuscrit.
Le manuscrit de Voynich semble n'être à première vue ni un texte codé, ni un langage inconnu, ni une production aléatoire. Alors quoi ? Pour sortir de cette impasse, ma collègue Joanne Hyde et moi-même avons réévalué chacune de ces pistes. L'estimation selon laquelle les caractéristiques du voyniche sont incompatibles avec tout langage humain est fondée sur une expertise linguistique pertinente et solide. L'impuissance des meilleurs cryptanalystes face au texte rend peu plausible l'existence d'un message caché. Reste l'hypothèse de la mystification, rejetée par la plupart des connaisseurs, qui considèrent que le manuscrit de Voynich est trop complexe pour être un faux. Cette opinion ne repose cependant sur aucune évidence. On ne sait presque rien des méthodes de reproduction d'un long texte médiéval codé, car il n'y a pratiquement pas d'exemples de ce genre.
Un code pour la tromperie
Plusieurs chercheurs, comme Jorge Stolfi de l'Université de Campinas au Brésil, se sont demandé si le manuscrit de Voynich a été construit à l'aide de tableaux de production aléatoire de texte. Les cases de ces tableaux comprennent des syllabes, que l'utilisateur sélectionne, par exemple en jetant des dés, et combine de façon à former un mot. Cette technique pourrait engendrer certaines des régularités observées dans les mots voyniches. La première colonne du tableau pourrait contenir des syllabes constituant un préfixe tel que qo, qui n'apparaît qu'en début de mot, la seconde colonne, des infixes - syllabes apparaissant au milieu des mots - comme chek, et la troisième colonne des suffixes, tels que y. En choisissant séquentiellement une syllabe dans chaque colonne, on produit des mots possédant la structure caractéristique du voyniche. Des cases vides permettent de produire des mots dépourvus de préfixe, d'infixe ou de suffixe.
Certaines propriétés du voyniche ne sont cependant pas aussi simples à reproduire. Des caractères courants pris individuellement peuvent n'être que rarement associés à d'autres. Les caractères transcrits en a, e et l, ainsi que la combinaison al, sont fréquents, mais la syllabe el est très rare. Cet effet ne peut être produit en mélangeant de façon aléatoire des caractères contenus dans un tableau.
Le tirage aléatoire est cependant la notion clé. Ce concept n'a été précisé que longtemps après la réalisation du manuscrit, de sorte que dans une construction aléatoire médiévale, la combinaison des syllabes a probablement été effectuée autrement. Les mots formés ne seraient alors pas strictement aléatoires au sens statistique. Certaines caractéristiques du voyniche sont peut-être ainsi la marque d'un ancien système de codage.
Nous avons essayé de produire un document contrefait pour voir quels effets apparaîtraient. Quelle technique utiliser ? La réponse dépend de la date de création du manuscrit. Il est illustré dans le style du XVe siècle, et il existe un consensus sur le fait qu'il est antérieur à 1500. Pour autant, les ?uvres artistiques imitent souvent le style d'une période antérieure, innocemment ou pour faire paraître le document plus ancien. Le style ne permet pas de dater précisément le manuscrit. J'ai donc cherché une technique en vigueur durant une période plus large, entre 1470 et 1608.
La grille de Cardan, introduite par le mathématicien italien Girolamo Cardano en 1550, est une possibilité prometteuse. C'est une sorte de carte à trous. Lorsqu'on la superpose sur un texte apparemment anodin créé à l'aide d'une copie de la même carte, les fenêtres révèlent les mots du message caché. J'ai pensé qu'à l'inverse cette même grille de Cardan à trois fenêtres permet de sélectionner des groupes de préfixes, infixes et suffixes dans un tableau pour fabriquer des mots de style voyniche.
Un code, mais pas de message
Une page type du manuscrit de Voynich contient entre 10 et 40 lignes, chacune comptant 8 à 12 mots. En utilisant le modèle du voyniche à trois syllabes, un seul tableau de 36 colonnes et 40 lignes contient assez de syllabes pour produire une page entière du manuscrit avec une seule grille. La première colonne donne la liste des préfixes, la seconde celle des infixes et la troisième celle des suffixes. Les colonnes suivantes répètent ce motif. On aligne la grille sur le coin supérieur gauche du tableau pour créer le premier mot, puis on la déplace de trois colonnes vers la droite pour former le mot suivant. On peut aussi déplacer la grille d'une ligne vers le bas ou d'une colonne vers la droite. En plaçant successivement la grille sur différentes parties du tableau, on crée des centaines de mots voyniches. Le même tableau peut ensuite être utilisé avec une autre grille pour former les mots de la page suivante. Avec trois tableaux et une dizaine de grilles, j'ai produit en peu de temps environ 2 000 mots.
Cette méthode permet de reproduire aisément les caractéristiques du voyniche. On peut s'assurer que certains caractères ne se côtoient jamais en concevant soigneusement les tableaux et les grilles. Si les fenêtres de la grille sont sur des lignes différentes, les syllabes de cases adjacentes horizontalement ne seront jamais accolées, même si elles sont très courantes individuellement. La distribution binomiale des longueurs des mots est obtenue en mélangeant des syllabes courtes, moyennes et longues dans le tableau. En voyniche, les premiers mots d'une ligne ont tendance à être plus longs que les derniers. Il suffit pour reproduire cette propriété de placer les syllabes longues dans la partie gauche du tableau. Mes essais suggèrent qu'une personne aurait pu produire le manuscrit de Voynich en seulement trois ou quatre mois à l'aide de la méthode de la grille de Cardan.
Pour déterminer si le manuscrit n'est qu'un fatras insensé ou s'il recèle un message crypté, j'ai imaginé deux façons d'employer les grilles et les tables pour coder un texte en clair. La première est de convertir les caractères du texte en clair en infixes qui sont ensuite insérés entre des préfixes et des suffixes ayant un sens à l'aide de la grille de Cardan. Une seconde technique possible est d'assigner un nombre qui spécifie l'emplacement de la grille de Cardan sur le tableau à chaque caractère du texte en clair. Cependant, ces techniques aboutissent à des écritures beaucoup moins répétitives que le voyniche. Ce résultat suggère que, si la grille de Cardan a effectivement été employée pour rédiger le manuscrit de Voynich, l'auteur a sans doute transcrit des suites de mots incohérentes plutôt qu'un texte sensé.
Ces travaux ne démontrent pas que le manuscrit est un canular, mais ils montrent que sa réalisation était possible à l'époque. Le fait que l'érudit élisabéthain John Dee et son associé Edward Kelley se sont rendus à la cour de Rodolphe II dans les années 1580 renforce cette hypothèse. Kelley était un faussaire notoire, un mystique et un alchimiste familier des grilles de Cardan. Certains experts du manuscrit de Voynich le suspectent depuis longtemps d'en être l'auteur.
Avec une de mes étudiantes, Laura Aylward, nous cherchons actuellement à reproduire des caractéristiques statistiques plus complexes par la technique des grilles de Cardan. Pour ce faire, nous tentons d'automatiser la méthode, afin de produire de grandes quantités de texte. Peut-être parviendrons-nous ainsi à percer le secret plusieurs fois centenaire du plus mystérieux des manuscrits médiévaux.[/justify]
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[small]- G. Rugg, The Voynich manuscript : an elegant hoax? in Cryptologia, vol.28, n°1, janvier 2004.
- A. Casanova, Méthodes d'analyse du langage crypté, une contribution à l'étude du manuscrit de Voynich, thèse de l'Université Paris VIII, 1999. http://voynich.free.fr/
- Des informations sur le site http://www.voynich.nu/[/small]
Le manuscrit de Voynich (Yale University, MS-408)
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