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La guerre froide du pétrole (1955)
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[center][large]Les Américains et le Sahara[/large][/center]
La France pourra-t-elle exploiter le pétrole algéro-saharien comme elle l'entend ?
[justify]Ému par des articles et des discours qui ne plaidaient pas en faveur de l'amitié américaine, l'ex-ambassadeur des États-Unis à Paris, M. Dillon, publia un communiqué, le 29 décembre 1956, déclarant que les sociétés américaines ne soutenaient pas les rebelles algériens et que le gouvernement français lui en avait donné par écrit la confirmation.
Malheureusement pour la crédibilité publique de cette affirmation, M. Guy Mollet, président du Conseil, avait déclaré huit jours auparavant en pleine assemblée nationale que le chantage au pétrole existait... et, ni lui, ni le ministre des Affaires Étrangères, ne retirèrent leurs précédentes allusions directes aux ingérences américaines en Afrique du Nord. Pas plus que l'ambassadeur ne s'inscrivit en faux contre la note du Foreign Office, du 5 octobre 1955, accusant les Américains de l'Aramco d'armer des tribus arabiennes pour les lancer contre l'oasis de Buraïmi périmètre pétrolifère anglo-français dans le sud-est de la péninsule arabique. Puis, pourquoi nier que le gouvernement français possède des preuves d'interventions américaines (et soviétiques) dans les troubles nord-africains ?
Une dizaine d'organes français publièrent sous une forme particulière à chacun cette information que nous extrayons de Dimanche-Matin (de Paris, car il y en a un autre à Alger) : « ... La compagnie américaine Aramco a versé un demi-milliard de francs aux fellagha en échange certifié du monopole des pétroles en Algérie et au Sahara. Dans les papiers des chefs rebelles arrêtés, on n'a pas seulement découvert les contrats de l'Aramco ? véritable pacte d'assassinat ? on a découvert aussi l'activité officielle du Département d'Etat qui envisage une république algérienne anti-française... »
Aucun de la dizaine de journaux français qui publièrent cette information ne furent poursuivis, ni même démentis par les autorités françaises. Pour la bonne raison que c'était le secret de polichinelle. L'hebdomadaire Carrefour et quelques rares autres ajoutèrent que des personnalités américaines étaient intervenues auprès de M. Vincent Auriol, ancien président de la République, afin qu'il agisse pour empêcher la publication de ces documents. Une fois de plus, pas une des personnalités mises en cause n'infirmèrent l'information.
Après M. Fouques-Duparc, maire d'Oran, qui tint une conférence en Algérie en relatant les faits ci-dessus, M. Raymond Dronne, député de la Sarthe, écrivit (1er janvier 1957) :
« ...Pour les pétroliers qui ne sont pas seulement influents auprès des roitelets arabes, Nasser est une véritable providence et l'aventure de Suez une affaire lucrative.
Les pétroliers américains n'intriguent pas seulement dans le Moyen-Orient, ils intriguent partout où la terre laisse échapper une odeur de pétrole.
Ils ont poussé à l'éviction la France du Fezzan parce que les prospections géologiques ont décelé dans des territoires désertiques d'immenses possibilités.
Ils intriguent contre la France en Afrique du Nord parce que le Sahara renferme, lui aussi, du pétrole. Ils étaient entrés en contact avec Ben Bella, chef de la rébellion algérienne, qui avait à l'avance partagée l'Algérie entre six concessions américaines. Une compagnie au moins, avait poussé la confiance en l'avenir jusqu'à avancer des sommes importantes à Ben Bella... » [1]
Telle est la réponse publique d'un parlementaire français au démenti de l'ambassadeur Dillon. Et tout le monde s'est tu.
Regrettons seulement que M. Dronne n'ait pas tenu le même langage en séance publique à l'Assemblée Nationale...
Mais nous avons encore mieux. Il s'agit d'un document américain, une dépêche United Press, de Washington, en date du 5 février 1957 :
« Entendu par les commissions sénatoriales des affaires étrangères et des forces armées au sujet de la « doctrine Eisenhower », M. Hamilton Fish, ancien député républicain à la Chambre des Représentants, a recommandé l'ouverture d'une enquête sur l'activité de l'Aramco (American-Arabian Oil C°) dans le Moyen-Orient et les autres pays arabes.
Il semble malheureusement, a déclaré M. Hamilton Fish, que cette compagnie « mine le prestige des États-Unis et détériore les relations avec les nations amies au mépris des lois « existantes. »
L'ancien député américain a notamment fait allusion à la découverte par les autorités françaises, lors de l'arrestation de Ben Bella et de quatre autres leaders du F.L.N., de documents prouvant que l'Aramco (qui regroupe la Standard Oil et la Texas Company), a lourdement contribué à l'exacerbation du soulèvement arabe en Algérie.
La déclaration de M. Hamilton Fish a été on ne peut plus énergique:
On sait maintenant que les Français ont découvert un vaste gisement de pétrole à 650 km. au sud d'Alger, dans le désert du Sahara. Il semble que l'Aramco ait cru qu'elle traiterait plus avantageusement avec les Arabes qu'avec la France...
Imaginez l'indignation, la colère et l'amertume des autorités françaises lorsqu'elles découvrirent la preuve que l'argent de la Standard Oil servait à animer la guerre civile et la révolte contre la France au prix du massacre de civils français et de membres de ses forces armées.
Ces documents ont été montrés à l'ambassadeur Dillon, à Paris, qui, naturellement[2] fut stupéfait et muet de surprise; « on ajoute qu'il s'envola immédiatement à Washington pour y faire un rapport.
« Je vous soumets cette information de bonne foi en comprenant que vous avez le pouvoir de citer des témoins et de collecter tous les faits concernant cette stupéfiante, dangereuse et extraordinaire diplomatie du pétrole et du dollar[3].
[center]« JE SUIS CERTAIN QU'AUCUN INDIVIDU NE POURRA BRISER LE RIDEAU DE FER DE SECRET DU DÉPARTEMENT D'ÉTAT, PAS PLUS QUE LA CONSPIRATION DU SILENCE DES COMPAGNIES PÉTROLIÈRES, MAIS VOS COMMISSIONS SÉNATORIALES ONT LE POUVOIR DE LE FAIRE. »[/center]
Le peuple américain a aussi le droit de connaître les faits et d'être protégé contre l'envoi de ses fils dans le Moyen-Orient pour livrer les combats de la Standard Oil et des « grandes compagnies pétrolières américaines. Je ne sacrifierais pas la vie d'un seul soldat américain pour tout de pétrole d'Arabie. Je travaille moi-même dans le pétrole et crois que « c'est un métier honnête, mais je ne voudrais pas que mon fils ou d'autres enfants américains soient envoyés combattre et mourir pour l'Aramco ou tout autre monopole pétrolier.
Voilà un Américain avec lequel nous sommes prêts à nous entendre ! Encore qu'il ait attendu bien tard pour s'émouvoir[4].
M. Hamilton Fish ne se fait pas trop d'illusions sur « la commission d'enquête » qu'il réclame. Toutes les démocraties se ressemblent lorsqu'il s'agit d'atteindre les complicités parlementaires. Nous ne croyons donc pas que l'intervention de M. Fish aboutisse à des conclusions officielles dans un pays à « impératif » pétrolier certain. Tout au plus, dans la crainte d'un scandale international, le Département d'Etat consentit-il à un revirement de sa politique à l'O.N.U. pendant la discussion de la question algérienne et à accepter la visite du président du conseil français à Washington. C'est déjà un résultat. A chacun son tour de s'essayer dans les exercices de chant. C'est la loi de la jungle... et le triomphe de l'immoralité mondiale base de l'instabilité de la paix.
Maintenant nous savons pour quelles raisons exactes nous nous battîmes en Tunisie et au Maroc et pour quelles autres raisons une simple révolte de quelques centaines d'hommes à la Toussaint 1954 devint une véritable guerre en Algérie[5].
Nous sommes désolés de dire que nous ne donnons pas encore les pétroliers américains perdants... M. Hamilton Fish évoqua « le rideau de fer secret » de Washington. Si ce n'est l'Aramco ou la Standard Oil ce sera leur s?ur. Que peut-on espérer contre une seule de ces sociétés à bilan extraordinaire, puisque pour 1956, le chiffre d'affaires de la Standard Oil of New Jersey est de 7.281.883.000 dollars, soit au cours du dollar (450 à New York en avril 1957) : 3.276 milliards 840 millions de francs en chiffres ronds. Le bénéfice net (et officiel) s'élève à 808535.000 dollars, soit : 363 milliards 840 millions de fr. (Ce chiffre d'affaires est le deuxième des États-Unis, le premier étant celui de la Gerberai Motors et la Standard Oil of New Jersey n'est qu'une des cinquante principales sociétés pétrolières américaines.)
A partir d'une certaine hauteur des Himalaya de dollars, on peut se permettre toutes les affirmations, y compris celle que a la guerre du pétrole est un mythe » (sic) que le « Plan Eisenhower » ne vise qu'à la protection des bananes et des oranges du Moyen-Orient et que le déplacement de la 6e escadre n'avait qu'un but touristique pour les troupes américaines.[/justify]
[1] L'Africain (1er janvier 1957).
[2] Nous ne sommes pas certains que l'ambassadeur ait été « stupéfait »; depuis 1951, nous n'avons cessé de dénoncer publiquement le fait.
[3] Ces qualificatifs indiquent que le public américain est, comme le public français, tenu dans l'ignorance des dessous politiques et diplomatiques du pétrole.
[4] Pendant la discussion au Sénat américain de la doctrine Eisenhower pour le Moyen-Orient :
« Il faut noter, parmi les celtiques les plus vigoureuses de l'opposition, l'intervention du sénateur démocrate Neely, de la Virginie-Occidentale. Déposant devant la commission judiciaire du Sénat, il accusa M. Coleman, président de la commission d'urgence du pétrole (M.E.E.C.), d'être à la fois un représentant du gouvernement et celui des grandes compagnies pétrolières, d'abord comme un des directeurs de l'Aramco, aujourd'hui comme vice-président de la Standard Oil of New Jersey. Il accusa aussi le secrétaire du Trésor, M. Humphrey, d'avoir gardé les actions qu'il possède dans la Standard Oil. En fait, les liens entre le « big business » et la direction des affaires publiques ont toujours été parfaitement admis ici, et la protestation de M. Neely fera long feu.
« Le journaliste Drew Pearson en profite pour rappeler que le cabinet d'avocat de M. Foster Dulles (tout comme celui de M. Dean Acheson) représente les intérêts de la Standard Oil of New Jersey ; que M. Hertel, sous-secrétaire d'Etat, est lié à la Standard par sa femme ; que son prédécesseur, M. Herbert Hoover Jr, était directeur de l'Union Oil, liée à la Gulf Oil. M. Pearson souligne encore que les Rockefeller, qui contribuèrent pour plus de 160.000 dollars à la propagande républicaine, sont les principaux actionnaires de la Standard Oil ; que les Mellon, également généreux pour le parti républicain, possèdent la Gulf Oil ; bref, que la plupart des « pétroliers » ont soutenu la campagne du président Eisenhower. Le journaliste dit encore qu'au dîner officiel donné par M. Eisenhower au roi Séoud furent invités tous les grands patrons de l'Aramco, de la Texaco, de la Standard, de la Socony Vacuum... » ? (Le Monde, 7 mars 1957).
[5] cf. Dossier secret de l'Afrique du Nord (chapitre : complots en France).
Information du 17 février 1957, d'Alger : Maître Boumendjel fait l'objet d'une mesure d'internement, il était un des responsables de l'organisation des rebelles algériens. « Me Boumendjel, naguère avocat et occupant depuis un certain temps un poste important dans une compagnie pétrolière, filiale algérienne d'une compagnie étrangère, est l'objet d'une mesure administrative d'internement....
Quand M. Boumendjel se suicida étant prisonnier, cette mort provoqua beaucoup de bruit. Tout le monde passa sous silence que I'avocat en disponibilité régulière, important chef du réseau régional du F.L.N. algérien, appartenait à l'administration de la Shell d'Alger.