Jean Giono - Du côté de Manosque - Entretiens avec Jean Carr

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Jean Giono
[large]Du cote de Manosque - Entretiens avec Jean Carriere.zip (164.28 MB)[/large]


Image[justify]Il est dommage de constater que les entretiens tels que celui que nous vous proposons aujourd'hui se font rares, bien qu'ils offrent aux inconditionnels d'un écrivain la possibilité de dépasser le cadre -nécessairement- étriqué des ?uvres de fiction de celui-ci. Aussi faut-il saluer cette excellente initiative de l'INA et de Radio France, qui ont réuni sur disque compact un peu moins de deux heures d'échanges avec un romancier en passe de tomber dans un relatif anonymat.

C'est ici Jean Carrière, ancien assistant personnel de Jean Giono et lui-même homme de lettre, qui profite donc de sa proximité avec l'écrivain originaire de Manosque pour discuter de la pluie et du beau temps (ainsi que de tas d'autres choses) avec l'un des plus grands romanciers francophones du vingtième siècle. Giono, homme à part au sein du paysage culturel et figure majeure de l'écriture et de la résistance à la culture bobo-intello hexagonale, à qui l'on doit des chefs d'?uvres tels que Le Hussard sur le toit, Colline, ou Un Roi sans divertissement.

Bref, qu'apprend-t-on d'intéressant ?

Très vite, celui qu'on surnomma le "voyageur immobile" remet les choses à leur place. La littérature provençale? Un grand n'importe quoi!

La raison en est simple, selon lui : personne n'est dans le vrai. Ni les parisiens, tels Daudet, qui prétendent connaitre suffisamment les terres du sud pour en caricaturer certains travers mais qui se fourvoient. Ni même les enfants du pays, Frédéric Mistral en tête, au sujet duquel Giono avoue "ne jamais avoir compris ce dont il parlait". L'occasion également pour Giono de régler -brièvement- quelques comptes avec l'intelligentsia universitaire d'après-guerre (cf plus bas), coupable de s'approprier une langue ainsi qu'une quête de sens qui la dépasse totalement.

Mistral évincé, Daudet raillé, on pourrait alors penser Giono imbu de sa petite personne, prêt à récupérer la légitimité d'une certaine identité littéraire et s'ouvrant grand la porte de la représentation culturelle provençale.

Il n'en est rien. Lui-même, pour commencer, n'a pas d'ascendance familiale originaire de la région. Pire. La Provence, oui, il l'aime, mais comme il s'empresse de le préciser, Giono n'aime pas le soleil, propice aux drames en tous genres, ni la chaleur qui l'étouffe. S'il n'y avait eu ses filles et sa femme, d'ailleurs, il aurait voulu vivre en Écosse. La pluie, le ciel gris, autant d'éléments qui suffisent à faire des landes britanniques un véritable paradis sur terre, du propre aveu de l'écrivain lui-même.

Et puis, surgi de nulle part, une question des plus étonnantes. Oui, Giono possède un téléviseur (nous sommes alors dans les années 60). Pour ses filles, en premier lieu, mais l'auteur de L'Homme qui plantait des arbres avoue très vite regarder les matchs de football et surtout les combats de catch. L'artificialité de ces luttes fascine Giono, qui embraye d'ailleurs sur ce qui constitue selon lui la vraie nature de l'écrivain.

L'univers carcéral, que Giono a connu à deux reprises, est également abordé sans détour, au travers d'un long passage dans lequel on découvre avec stupéfaction que l'homme de Manosque a apprécié ses séjours en prison. Il s'y est senti "libre", "inspiré", et "tout à fait à son aise" au milieu de ses co-détenus, puisant dans l'enfermement une source d'inspiration quasi-intarissable!

On regrettera sans doute la décision prise par Jean Carrière de ne pas aborder (ou de couper ?) les sujets polémiques, et l'on aurait aimé entendre Giono donner son avis sur la mise à l'index dont il fut victime jusqu'en 1949 par le désormais très controversé Comité National des Écrivains. Fondé par Lahlan, celui-ci était censé rassembler les auteurs opposés au nazisme afin d'établir une nouvelle donne au sein du paysage littéraire hexagonal (comprenez : épurer les collaborationnistes tels que Jacques Chardonne, Alphonse de Chateaubriand, ou Marcel Jouhandeau). Sauf que, sous l'impulsion de Louis Aragon notamment (alias la taupe culturelle Soviétique en France), certains auteurs innocents tels que Giono (qui a hébergé des fuyards durant la guerre) ou Henry de Montherlant ont été pris à partie, là où d'autres noms bien plus compromis furent rapidement acquittés (cf la relaxe assez étrange du russophile Paul Claudel, à qui l'ont doit pourtant quelques interventions pour le moins douteuses en faveur du régime nazi).

Bref, peu importe. La qualité audio de l'enregistrement s'avère plutôt correcte pour peu qu'on la replace dans le contexte technologique de l'époque, et on se délecte devant la truculence d'un petit vieux plein de malice, qui aime contredire Carrière juste pour le plaisir de lui dire non.

Un livre audio à réserver aux amoureux de Giono, mais pas uniquement, tant il ouvre de nouvelles perspectives sur l'univers d'un écrivain attachant au possible et à redécouvrir d'urgence.[/justify]
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