Cazalot Georges - Le complexe de Néron

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Riton le Besogneux

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[large]Cazalot Georges[/large]
Le complexe de Néron

http://www.balderexlibris.com/index.php ... e-de-Neron
http://www.histoireebook.com/index.php?category/C/Cazalot-Georges


[justify]Le 28 mai 1987, le quotidien LIBERATION publiait un extrait d'une lettre de lecteur. Aussitôt c?était une immense lever de boucliers, à tel point que Serge JULY, son directeur, devait retirer sous la pression, le numéro de la vente. Money étant Money, il attendait pourtant midi avant de le faire. Le chef du service du courrier, un certain Jean-Marie BARTEL était licencié. Un an plus tard il était encore au chômage.
La presse des Hautes-Pyrénées reprenant LIBERATION ne se faisait pas faute de m'insulter et une feuille de chou hebdomadaire rédigée par un ancien auxiliaire de police passé à la politique, au parti républicain très exactement, titrait sous une photo anthropométrique de police : "CAZALOT, LA HONTE DE LA BIGORRE A ENCORE FRAPPE" Participant à ce moment là au pèlerinage traditionaliste PARIS-CHARTRES, je ne pouvais répondre.
Ma lettre faisait partie d'un lot de 140 expédiées de puis le 1er janvier 1981 aux plus Hautes Autorités Françaises et Internationales, aux médias écrits, parlés et télévisés et à différentes personnalités telles que MM. IKOR, WELLERS, PIVOT, CAUVIN, GALLIBERT, Monseigneur POUPARD... etc. et bien d'autres.
Jusqu'à l'incident du 28 mai, je n'avais reçu personnellement que quatre réponses :

- du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre pour me dire que l'HOLOCAUSTE
était un fait acquis et qu'il n'y avait pas à revenir sur cette vérité ;
- de l'Assemblée Européenne qui me précisait que cela ne la regardait aucunement,
- de l'hebdomadaire l'EXPRESS qui m'insultait,
- et, fin 1981, du Ministre de l'Intérieur, Gaston DEFFERRE qui m'envoyait ses sbires pour m'interroger.

Pour la première fois, le 28 mai, je réussissais à percer la cuirasse, sans employer de termes techniques, d'une manière simple avec des moyens simplistes pouvant toucher le plus grand nombre de lecteurs, et surtout de lecteurs moyens.
Je ne suis ni un intellectuel, ni un savant, ni un professeur, ni un historien, je suis simplement un homme simple qui cherche à savoir ce qui s'est passé à défaut de chercher la vérité. Ce qui est terrible d'ailleurs avec la vérité, c'est que lorsqu'on la cherche on la trouve et elle fait très mal. Je m'efforce, même si cela ne vole pas bien haut, si c'est comme le disait BARTEL dans une interview assez mièvre de toucher non pas des intellectuels, mais le bon peuple de France, qui est, même s'il n'est pas très instruit de toutes ces questions capable de faire des additions, des soustractions et des divisions, capable de dire si un chat est un chat ou non.
Voici donc cette lettre dans son intégralité. Mais avant, une mise au point s'impose.[/justify]
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TitiLeParisiard

Post by TitiLeParisiard »

[large]Venez me montrer bande de salauds comment vous faites déguerpir un légionnaire[/large]

[justify]Décembre 1944 au camp du Seilhan à Auch (Gers) Le camp d?internement de collaborateurs du Seilhan situé sur la route Auch-Agen presque à la sortie d?Auch et dans lequel croupissent et souffrent en ce mois de décembre 1944 plus d?un millier de gascons, ancien camp de regroupement de travailleurs indochinois, composé d?une douzaine de bâtiments en briques, se réveille lentement en faisant craquer les os des internés alors que les événements viennent de secouer la première partie de cette deuxième quinzaine de décembre 1944.

Le premier événement peut sembler dérisoire, mais il a son importance dans ce qui va suivre. Il est tout à fait de saison. Après un brusque changement de température à la baisse, il a neigé. Le sol est recouvert d?une vingtaine de centimètres d?une neige poudreuse qui se transformera très vite en une véritable patinoire glacée.

Ils Arrivent?
Le second, lui, est à l?échelon international. Nous ne le découvrirons qu?au fil des heures par des indiscrétions, les bavardages de nos gardiens, mais aussi par leur nervosité, par le renforcement du système de sécurité : mise en place de fusils mitrailleurs et de nouveaux postes de garde. Les fifis n?en mènent semble-t?il pas large. Nous sommes le 16 décembre 1944 ! Von Rundstedt vient de s?enfoncer comme un coin, en Ardennes, dans les lignes américaines, les bousculant. Il fonce à marche forcée vers la mer.

J?ai été extrait de la Maison d?arrêt d?Auch le 15 novembre et affecté à la menuiserie du camp, où sous les ordres de mon camarade Bonnet - j?ai 17 ans, il en a près de 45 - je participe à la construction d?un nouveau bâtiment, d?une prison dans la prison. Le camp possède déjà une prison, en l?occurrence une baraque entourée d?un triple, voire même d?un quadruple réseau de barbelés, appelée 10 bis - je l?intégrerai quelques jours plus tard - dans laquelle sont maintenus les « gens jugés dangereux ou trop compromis » et d?où s?échappent, jour et nuit les hurlements de douleur et les gémissements des hommes torturés. Je viens de subir dans les environs du 20 novembre un nouvel interrogatoire mené par un inspecteur de police du nom de Durieux - le 20 août il n?était encore qu?agent de police - Je mesure 1 m 78, Durieux tout au plus 1 m 65. C?est dire les difficultés qu?il rencontre pour pouvoir me matraquer à son aise. Aussi, pour pouvoir mieux le faire, m?a-t?il fait tout d?abord asseoir sur un lit, puis comme cela lui semblait certainement trop doux, m?agenouiller sur un manche à balai. C?est amusant tout plein. Les fifis en rient à gorges déployées. Il s?évertue à me faire avouer que j?aurais appartenu au PPF de Doriot. Comme il n?en est rien, je n?ai aucun mal à ne pas mentir et à réfuter ses accusations. A un moment énervé par mon calme et mes dénégations, il se saisit d?une bouteille qui traînait sur un bureau et tente de m?en asséner un grand coup sur la tête. J?ai des réflexes. Je bouge, la bouteille ripe sur mon oreille droite, et le coup m?arrive sur l?articulation de l?épaule. Je ressens une douleur fulgurante, qui me fait presque m?évanouir. La clavicule serait-elle cassée ? Je ne le saurai jamais car je ne serai jamais soigné et je devrais travailler dans cet état. J?aurai du mal - j?ai toujours mal d?ailleurs à cet endroit - quelques années plus tard à conserver longtemps mon fusil sur l?épaule, et même, le 30 avril 1947, à Bentré (Indochine), lors de la prise d?armes pour Camerone, alors que je suis porte-fanion de la compagnie d?accompagnement du 2e bataillon du 3e Régiment Etranger d?Infanterie, j?en laisserai tomber mon arme et le fanion. Mais je m?égare, revenons à décembre 1944.

Désespoir?
Le décor est planté. Nous sommes donc le 16 décembre. L?affolement est général chez les « fifis » du camp. En ce qui nous concerne, c?est tout de suite la joie, l?euphorie. Nous sommes grisés et heureux, et pourquoi le cacher, pour certains d?entre nous c?est l?espoir d?une prochaine délivrance. Nos camarades allemands vont bientôt revenir ! Puis vient la chute de tension avec les heures qui s?écoulent. Nous vient cette atroce pensée : Que vont faire nos gardiens « fifis » ?

Dis, Papillon?
Sévit dans le camp à cette époque un fifi âgé environ de 25 ans , gros et gras à souhait, grande gueule, gros frappeur, mais seulement là où il n?y a pas de danger. Il a préféré jouer les garde-chiourme plutôt que d?aller se battre contre les allemands sous Royan. Nous l?avons baptisé Papillon.

Je suis jeune et impulsif - le plus jeune des prisonniers - et le 19 décembre au matin, croisant Papillon, je ne puis m?empêcher de lui lancer : « Dis Papillon, si cela continue, tu sais à qui elle va servir la nouvelle prison ? » Cette nouvelle baraque qui doit servir de prison est construite entre la baraque des femmes - elles sont une bonne centaine - et la menuiserie, sur un glacis venteux. Elle est montée sur des poteaux en bois formant des pilotis et comprend cinq cellules reliées par un couloir. C?est un édifice où le vent et le froid passent en hurlant entre les jambes non bouvetées, et sans plafond.

Avec qui voulez-vous lutter ?
Moins d?une heure après mon apostrophe, je suis appréhendé par une équipe de fifis qui sans ménagement, à grands coups de pieds, de poings et de matraques - je prendrai là une mémorable raclée- qui viendra s?ajouter à toutes les autres reçues depuis le 20 août, me jetteront haché, mâché, sanguinolent dans la première cellule de la prison que j?inaugurerai du même coup.

Ai-je dit qu?il avait neigé ? Ai-je dit qu?il faisait un froid à ne pas mettre un canard dehors ? Ai-je dit, mais non n?est-ce pas, que depuis le 20 août je n?étais vêtu que d?une chemisette d?été, d?un léger tricot et d?un pantalon tout aussi léger, que je n?avais aux pieds qu?une paire d?espadrilles en corde, don généreux d?un camarade. Mes parents étaient au camp depuis le 21 août et la parenté lointaine, apeurée, ne s?était pas manifestée. Je passerai cinq jours dans cette cellule, avec seulement une ration de pain et une gamelle d?eau, sans couchage, sans laver, avec une simple boîte de conserves pour faire mes besoins. Les (censuré) Thierry et Hillis (1), directeurs du camp interdiront à mes parents de venir me voir ou de me faire parvenir un quelconque ravitaillement ou un quelconque pansement pour nettoyer et panser mes plaies.

Madame Dulong, ayant également manifesté viendra me rejoindre dans la cellule voisine le 21 décembre. Nous ne sortirons de cet enfer glacé, géré par des Français et des (censuré) que la veille de Noël. Je serai alors enfermé à la 10 bis où les sévices recommenceront. Puis je serai renvoyé en prison dans les environs du 4 janvier 1945 d?où je ne sortirai que le 11 décembre 1946, pour le 12 décembre être à Marseille au bas Fort Saint Nicolas où je m?engagerai à la Légion Etrangère. Puis l?AFN et le 25 mars 1947 je débarquerai à Saïgon.

Souvenirs?
Je reviendrai à Auch en tenue de sergent de la légion, en avril 1950. Je reverrai Papillon, presque clochard - il est employé à la mairie d?Auch - qui participe à la fête de l? « Humanité » en septembre 1950. La fête a lieu dans un pré bordant la RN d?Auch à Tarbes. Je suis en face, au restaurant « Le Robinson », sabrant le champagne. Papillon me sera envoyé par ses maîtres pour me dire de déguerpir car je suis une provocation. Il s?attirera cette réponse : « Venez me montrer bande de salauds comment vous faites déguerpir un légionnaire. » Je n?ai plus revu Papillon, ni ses chefs.
Sauf un en 1955, lors de mon dernier retour d?Indochine.

Georges Cazalot

(1) Le gouvernement de Vichy ne les avait pas, comme on tente de le faire croire aux français pour les culpabiliser, tous livrés aux allemands. Thierry lui avait une dent particulière contre la milice. Possédant une ferme, et ravitaillant les terroristes des maquis, fin mai ou début juin 1944, la Centaine Gascogne - j?en étais - avait réquisitionné la totalité de son « ravitaillement » ainsi que sa basse-cour et son cheptel pour le distribuer gratuitement, sous la halle d?Auch, près de la Poste, aux auscitains qui n?avaient trouvé rien à redire.[/justify]
MimilleLaBordille

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[large]Georges Cazalot[/large]
Ancien sergent-chef au IIe/3e REI

[justify]Indochine 1947
Fin août 1947, le 2e Bataillon du 3e Régiment Etranger d'Infanterie (IIe/3e REI) basé à Bentré en Cochinchine fait mouvement sur le Tonkin. Je quitte la ville avec le détachement précurseur de ma compagnie. Je n'arriverai au Tonkin que bien longtemps après mes camarades. En effet, à quelques kilomètres de Bentré, mon véhicule saute sur une mine. Mes camarades sont morts ou blessés ; ayant pris place au fusil-mitrailleur juché sur le toit du camion, j'effectue un splendide vol plané, la rizière n'étant pas pour moi, je chute sur le sol où je me fracture la jambe droite. L'infirmerie-hôpital de Thu Dau Mot puis l'hôpital de Bien Hoa m'accueilleront.

Pendant que je traîne ma flemme en apprenant, à cloche pied, à jouer au ping-pong, l'opération « LEA » est lancée contre le réduit Viet-Minh du Haut Tonkin avec l'espoir de capturer Hô Chi Minh. Elle débute le 7 octobre par le largage de deux bataillons parachutistes sur Cao-Bang et Bac Kan. Simultanément, deux colonnes convergent vers Cao-Bang ; l'une commandée par le colonel Beaufre progresse sur la RC 4, le IIe/3e REI est de la partie, l'autre via Bac Kan par la RC 3. Une troisième colonne, fluviale celle là, remonte le fleuve Rouge puis la rivière Claire pour tenter d'atteindre la ville de Tuyen Quanc. C'est dans cette ville que fut composé vers 1885 l'hymne de la Légion « Tiens voila du bon vin » qui devint par une lecture erronée « Tiens voilà du boudin », erreur imputable aux lettres gothiques.

Le groupement « B » progresse sur la RC 4. Fort de 8000 hommes et de 800 véhicules ; du 7 au 14 octobre, il avance dans un paysage de terre brûlée sans rencontrer de résistance et après avoir atteint Cao-Bang il redescend à la rencontre du groupement « A » sur Bac Kan. A partir du 16 novembre, la RC 4 peut être utilisée de Tien Yen sur le golfe du Tonkin à Cao-Bang, soit sur 230 kilomètres. Cette route, dont la largeur n'excède jamais cinq mètres, serpente à flanc de colline, entre des pitons calcaires, sorte de Baie d'Along terrestre, dans une jungle inextricable que les Viets transformeront rapidement en une sorte d'abcès sanglant et que l'on baptisera très vite la « Route de la mort ». Quelques rares plaines en cuvette dans lesquels sont installés les villages, jalonnent ce cordon ombilical que le commandement, avec juste raison, on s'en rendra compte dans quelques années, considère comme vital. La RC 4 verrouille la frontière entre la Chine et le Tonkin empêchant ainsi l'arrivée d'hommes et de matériels dont le Viet-Minh a grand besoin.[/justify]


[center][small]Légionnaires du 2/3e REI dans la région de That-Khé en 1950[/small][/center]

[justify]La RC 4 de That Khe à Dong Khe : Le commandement va y implanter des postes. Cette piste, plutôt que route, va devenir le tombeau d'un nombre incalculable de véhicules qui tombant en panne et abandonnés sont « zabralisés » par les chauffeurs suivants qui prendront quelques risques en s'arrêtant pour récupérer pièces, matériel et ravitaillement. C'est au IIe/3e REI qu'échoit la difficile mission d'assurer la protection de la route allant au sud du poste de Deo Kat, au nord au débouché du col de Luong Phai sur la plaine de Dong Khe. Une demi-douzaine de postes sont construits : Environ 800 légionnaires tiennent ces postes répartis sur une distance de 25 km à vol d'oiseau.

That Khe comme tous les gros villages frontaliers possède une citadelle établie sur un petit promontoire que le Viet-Minh a détruite ; elle sera reconstruite en un temps record par les légionnaires ainsi que le marché face à la pagode.

La route devient très vite dangereuse. En effet, dès le 1er janvier 1948, les Viets attaquent un convoi, du groupe 516, qui descend sur Lang Son, à 34 km au sud de Cao-Bang.Le combat va durer trois heures et nos pertes seront importantes : 22 morts, 1 disparu et 40 blessés. Le 28 février la Cie de commandement régimentaire accomplissant une ouverture de route est attaquée pratiquement au corps à corps. Bilan : 22 morts et 33 blesses. Dans la nuit du 16 au 17 mars, simultanément, tous les postes du sous secteur de That Khe sont attaqués à minuit. Les postes de Deo Kat et du Song Ky Cung tenu par la 8e compagnie commandée par le lieutenant Le Gouaille (2), sont enlevés en moins d'une heure. La compagnie n'existe plus. Le lendemain 17 mars, le sergent major de la compagnie qui avait été fait prisonnier est libéré et apporte un message du commandement Viet-Minh demandant que l'on récupère morts et blessés. Environ 1500 Viets et 3000 Chinois auraient pris part à cette affaire. Pour la première fois je pressens, moi qui ne suis qu'un modeste caporal de la Légion, devant la tranquillité du commandement Viet-Minh, ce qui va nous arriver.
Le 7 avril, au nord de Dong Khe, un convoi tombe dans un nouveau piège. Les Viets installés et dissimulés dans les calcaires et l'épaisse végétation tropicale s'en donnent à coeur joie en mitraillant la route. L'aviation appelée en renfort sera inefficace. Le combat durera plus de 4 heures et se soldera dans nos rangs par deux morts et une vingtaine de blessés. Le 16 avril le IIIe/3e REI s'installe à Dong Khe en remplacement d'une unité de tirailleurs. Ce renfort améliore sensiblement la sécurité, pour quelques temps du moins, mais Bac Kan a été abandonnée. Il faudra attendre le 10 décembre pour qu'une patrouille d'ouverture de route venant de Cao-Bang soit attaquée au km12.On compte douze morts et huit blessés tandis que deux véhicules sont détruits ; Noël sera calme malgré quelques coups de feu.

L'année 1949 s'annonce difficile. Les Viets reprennent leurs actions et font sauter la plupart des ponts. La plus grosse attaque se produira au col de Luong Phai le 3 septembre.
Ici, à ce point de mon récit, il est bon que je signale un événement resté inconnu de la plupart des auteurs, ayant relaté la guerre d'Indochine. Cette péripétie peut apparaître mineure et localisée, mais révélatrice de l'esprit de cette guerre : A 3 km au sud de That Khe, au poste du pont radier intermédiaire, long d'une trentaine de mètres,tout est calme en cette nuit du 28 au 29 août, chaude et très noire à cette époque de l'année en Haute-Région. Il y a là le sergent Gris (3) chargé de tenir la position avec un groupe d'une dizaine de légionnaires. Gris ayant fait établir par son caporal les tours de garde et ayant lui-même mis en place les premières sentinelles, trouvant que la chaleur à l'intérieur du blockhaus nord est insoutenable, décide de se réfugier dans la fraîcheur relative de l'extérieur, sur le toit du blockhaus. Vers 3 heures du matin, une sorte de pressentiment le réveille, le fait se lever et aller inspecter les emplacements de garde. Il se dirige vers le blockhaus sud. Arrivé au milieu du pont il croise un légionnaire qui vient vers lui, auquel il demande si tout va bien, l'autre lui répond affirmativement.

Gris continue sa route, arrive près du poste de garde, il constate qu'il n'y a pas de sentinelle. Intrigué il descend dans la chambre du blockhaus. Elle est vide ! Il se précipite vers le blockhaus nord, d'où il vient : personne ! Il n'y a plus le légionnaire qu'il avait croisé tantôt. Tout son poste a déserté ! Il bondit sur la radio ; de permanence je réceptionne son message qui m'informe de la dramatique situation dans laquelle il se trouve. Aussitôt je réveille mon capitaine et lui rend compte. Le bataillon est mis en état d'alerte. Il est environ 3 heures 30 et il fera nuit jusqu'à 6 heures 30. Ordre est donné au sergent Gris de ne pas bouger et de se barricader dans le blockhaus nord. Il n'est armé que d'un pistolet-mitrailleur, de 4 chargeurs d'une grenade. L'attente est angoissante de ce qui devrait immanquablement se produire. Mais rien ne survient.

A 6 heures une colonne de secours part pour le poste intermédiaire ou elle trouve le sergent Gris qui n'en mène pas large : une dizaine de déserteurs d'un seul coup,cela fait beaucoup. On peut aisément concevoir que le légionnaire rencontré par le sergent avait pour mission de l'assassiner et de détruire la radio ; se trouvant inopinément devant lui il n'avait pas osé. Le sergent avait eu ainsi beaucoup de chance, les déserteurs ayant certainement décidé de mettre, rapidement, de la distance entre eux et la colonne qui devait sûrement arriver, ils n'avaient pas cherché à attenter à la vie de Gris.

Le 3 septembre, le convoi de ravitaillement se rendant à Cao-Bang, composé de 90 véhicules dont beaucoup sont des cars "chinois" quitte That Khe vers 13 heures 30. Une heure plus tard, le col de Luong Phai est transformé en enfer. La tête du convoi, soit les vingt premiers véhicules, bascule sur Dong Khe en haut du col. Derrière, c'est le trou. Avant de basculer sur Dong Khe, à quelques dizaines de mètres du haut du col, dans un passage en déblai, le 21ème véhicule saute sur une mine. Impossible de le dégager dans le ravin d'autant plus qu'un déluge de feu se déchaîne et balaye toute la route tandis qu'après quelques coups de clairon, les Viets abordent la route et sautent sur tous les véhicules. A l'arrière, "topo" identique, les vingt derniers véhicules ont été bloqués. Les Viets peuvent tranquillement organiser le carnage suivi du pillage: 51 véhicules et un Morane d'observation disparaissent dans cet enfer. C'est l'abordage dans le feu et la fumée âcre des véhicules et des corps qui brûlent.

Au début de l'attaque je suis en milieu de convoi dans la jeep de mon commandant de compagnie, le capitaine Di Meglio (5), un pied-noir de Bougie, qui commande l'ouverture de route. Il conduit à son habitude torse nu et sans arme. Les Viets abordent la route à une vingtaine de mètres de notre position lorsqu'il saute de la jeep suivi de son ordonnance portant sa carabine et qui lui crie de s'arrêter. Blabla, mon ordonnance,et moi-même sautons à notre tour tandis que la jeep flambe et nous déboulons dans le thalweg. Les Viets ne nous suivent pas, se contentant de faire prisonnier le capitaine Di Meglio et son ordonnance. Celui-ci nous sera rendu deux jours plus tard, je n'ai jamais plus rien su du capitaine Di Meglio. Mon polonais de Blabla et moi, après avoir suivi le fond du thalweg et échappé à la poursuite et aux recherches des bodoïs fouineurs arrivons dans la nuit au poste du pont Bascou ou nous nous faisons reconnaître.

Le 2e Bataillon sous les ordres du Cdt Raberin qui assurait la protection du convoi en pitonnant sur les hauteurs sur sa gauche a été cloué au sol et n'a jamais pu intervenir. A That Khe cela a été l'attente inquiète. L'artillerie composée d'un seul canon ayant perdu son avion d'observation n'a pu intervenir que par des tirs désordonnés et sans réelle efficacité. That Khe tout l'après midi et toute la nuit du 3 au 4 est restée vide de troupes à l'exception d'une légère couverture de bureaucrates.Si les Viets avaient voulu... Mais il étaient trop occupés à se battre et ensuite à récupérer tout ce qui était récupérable.

Le lendemain, les ouvertures renforcées reprendront pied sur le col sans rencontrer de résistance et fouilleront la jungle à la recherche des morts et des blessés ainsi que de quelques rescapés. Des corps achèvent de se consumer. Tous les véhicules ont été systématiquement vidés et les Viets friands de caoutchouc pour leurs sandales, ont récupérés les pneus. Toutes les boites de conserves qui n'ont pu être transportées par les coolies des Viets ont été percées à l'aide de coupe-coupe ou de pioche. De retour sur les lieux le 21 septembre avec trois camarades, mon inséparable Blabla, le caporal Baste mon adjoint, et le maréchal des logis chef commandant l'artillerie de That Khe, nous patrouillerons les 10 km du col sans rencontrer âme qui vive pendant que le bataillon s'efforce de récupérer au fond du ravin, un "wrecker" de dépannage de 10 tonnes. Nous ne trouverons qu'une boite de quenelles, une boîte de confiture de fraises et une bouteille de bière intactes. Maigre repas... Le "wrecker" ne sera pas récupéré. A la suite de cette embuscade la décision est prise de modifier les conditions d'exécution des convois. Ils seront désormais scindés en rames de dix à douze véhicules quittant toutes les dix minutes la gare de départ. Au lieu d'avoir une ouverture de route pitonnant et une escorte rapprochée, ils seront protégés par une véritable opération chargée d'assurer la sécurité.

Courant novembre 1949, le IIe/3e REI qui est sur la brèche depuis plus de deux ans quitte That Khe pour prendre quelque repos à Dong Dang où, dès décembre, il s'emploiera à recueillir et à contrôler les milliers de chinois du Kuomintang qui refluent sur le Tonkin talonnés par les communistes de Mao Tse Tung.

Après 37 mois passés en Indochine dont 29 mois sur la Route de la mort, je quitterai Dong Dang le 25 avril 1950 pour prendre en France un repos réparateur. Je reviendrai comme volontaire pour un deuxième séjour en octobre, juste après la deuxième défaite de la RC 4 ou les colonnes Charton et Lepage furent anéanties.

Georges Cazalot
Ancien sergent-chef au IIe/3e REI
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Notes
1) Le général Salan qui refusait de dégarnir la frontière de Chine avait raison contre le général Revers, qui, lui, voulait l'abandonner ;
2) Le Gouaille rapatriable le jour même, sera tué dans ce combat ;
3) Il en fallait davantage pour faire perdre "le calme des vieilles troupes" au sergent Gris. En effet, ancien de la LVF en Russie "il en avait vu d'autres" ;
4) Le lendemain de l'attaque on a retrouvé sur la route la plaque d'identité du déserteur qui devait être le meneur, dans l'affaire du sergent Gris. Elle n'a pas été perdue,mais a été certainement déposée bien en vue pour que l'on sache qu'il avait participé a cette attaque ;
5) Di Meglio était, lui, un ancien des FFL.[/justify]
Last edited by MimilleLaBordille on Mon Aug 16, 2010 7:25 am, edited 1 time in total.
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