Joseph de Maistre - Œuvres complètes


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Joseph de Maistre - Œuvres complètes


Considérations sur la France.1796.
Il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu'on a vu et peut-être de tout ce qu'on verra...il n'y a plus de prêtres, on les a chassés, égorgés, avilis; on les a dépouillés. Et ceux qui ont échappé à la guillotine, aux buchers, aux poignards, aux fusillades, aux noyades, à la déportation, reçoivent aujourd'hui l'aumône qu'ils donnaient jadis. Les autels sont renversés, on a promené dans les rues des animaux immondes sous des vêtements des pontifes. Les coupes sacrées ont servi à d'abominables orgies. Et sur ces autels que la foi antique environne de chérubins éblouis, on a fait monter des prostituées nues.

Lettre d'un royaliste savoisien. 1794.
Les lois sont sans vigueur, le gouvernement reconnaît son impuissance pour les faire exécuter; les crimes les plus infâmes se multiplient de toutes parts; le démon révolutionnaire relève fièrement la tête; la Constitution n'est qu'une toile d'araignée, et le pouvoir se permet d'horribles attentats. Le mariage n'est qu'une prostitution légale ; il n'y a plus d'autorité paternelle, plus d'effroi pour le crime, plus d'asile pour l'indigence. Le hideux suicide dénonce au gouvernement le désespoir des malheureux qui l'accusent. Le peuple se démoralise de la manière la plus effrayante; et l'abolition du culte, jointe à l'absence totale d'éducation publique, prépare à la France une génération dont l'idée seule fait frissonner.


Le comte Joseph de Maistre (Chambéry, 1er avril 1753 - Turin, 26 février 1821), est un homme politique, philosophe, magistrat, historien et écrivain savoisien, sujet du Royaume de Sardaigne.
Joseph de Maistre était membre du souverain Sénat de Savoie, avant d'émigrer en 1792 quand les forces armées françaises occupent la Savoie. Il passe ensuite quelques années en Russie, avant de retourner à Turin. Il est l'un des pères de la philosophie contre-révolutionnaire, membre éminent de la Franc-Maçonnerie, et incliné vers l'ésotérisme.


Joseph de Maistre est né le Ier avril 1753 à Chambéry, à l'hôtel de Salins, place de Lans, et aussitôt baptisé dans l'église Saint-Léger. Il est issu d'une famille savoisienne originaire du Comté de Nice; son père François-Xavier Maistre est deuxième président du souverain Sénat de Savoie. Sa mère, Christine Demotz de La Salle est issue d'une ancienne famille de magistrats savoyards. Il est l'aîné d'une famille de dix enfants et le parrain de son frère cadet, Xavier de Maistre, qui deviendra écrivain. Il étudie chez les Jésuites, dont il subira toute sa vie une profonde influence. En 1774, il entre dans la magistrature; il est nommé sénateur en 1788, à l'âge de trente-cinq ans.
Avec son frère Xavier, il a participé au premier lancement d'une montgolfière en Savoie en 1784. Pendant 25 minutes, l'ingénieur Louis Brun et Xavier de Maistre survolent Chambéry avant d'atterrir dans le marais de Triviers.
Lorsque survient en 1789 la Révolution française, la Savoie, en tant que pays étranger, n'est pas directement impliquée dans les événements qui bouleversent la France. Les savoisiens suivent cependant ces événements de très près au contact des milliers de réfugiés français qui traversent le pays et y séjournent avant de s'exiler en Suisse ou au Piémont. Pour sa part, Joseph de Maistre admet lucidement les fondements de la Révolution. Il semble acquis aux idées nouvelles qui d'ailleurs obtiennent au début les faveurs et l'assentiment du roi Louis XVI. Dans une intervention au souverain Sénat de Savoie, le sénateur de Maistre plaide pour que le peuple marche à grands pas vers l'égalité civile. Toutefois, il déplore les excès populaires et les désordres qui bouleversent la vie du pays voisin. Et ce n'est que lorsque les institutions monarchiques et religieuses de France sont menacées que se forgent ses idées contre-révolutionnaires et antigallicanes, son jugement étant influencé par la lecture des Réflexions sur la Révolution de France d' Edmund Burke.
Joseph de Maistre va entrer en résistance lorsque son pays est envahi dans la nuit du 21 au 22 septembre 1792 par les armées françaises aux ordres du général Montesquiou (Anne Pierre de Montesquiou-Fézensac). Le 23 octobre les députés désignés par le peuple sous le contrôle de l'occupant se constituent en Assemblée Nationale des Allobroges, proclament la déchéance de la Maison de Savoie, la suppression des sept provinces et l'unité indivisible de l'Allobrogie. Le 27 novembre 1792, la Convention nationale décrète la réunion de la Savoie à la France dont elle formera le 84e département. Dès lors le peuple savoyard est intégralement soumis au régime révolutionnaire français. La constitution civile du clergé imposée à la Savoie, malgré l'engagement de la France de respecter le libre exercice du culte et l'indépendance des prêtres, entraîne l'exil et la déportation d'un grand nombre de prêtres savoyards insermentés, et parfois leur exécution. Le 23 mars 1793, Chambéry assiste à la liquidation, par les révolutionnaires français, du Souverain Sénat de Savoie: Joseph de Maistre fut le seul sénateur à manifester sa résistance au nouveau pouvoir en place. En avril 1793, Annecy devient le centre des manœuvres de la contre-Révolution. Mgr de Thiollaz est l'âme de la résistance. Joseph de Maistre en est le conseil et l'orateur.
Joseph de Maistre se réfugie à Turin en 1792 dès l'invasion des troupes françaises. Dans l'hiver, il s'installe avec sa femme et leurs deux enfants, Adèle et Rodolphe, dans la cité d'Aoste, où il retrouve son frère Xavier et ses sœurs. Mais la Loi des Allobroges fait obligation aux réfugiés de revenir en Savoie sous peine de confiscation de leurs biens. De retour à Chambéry, les époux de Maistre refusent de prêter serment et subiront en tant qu'émigrés la mise en vente de leur maison de la place Saint-Léger, de leurs terres et de leurs vignes comme biens nationaux. Entre temps, le 27 janvier 1793, madame de Maistre met au monde une petite fille qui sera baptisée à Chambéry sous le prénom de Constance et sera confiée provisoirement à sa grand-mère maternelle, Anne de Morand, pour échapper à la vie mouvementée de ses parents qui repartent en exil. C'était sans compter avec le régime de la Terreur, confirmé par la Loi des suspects : la grand-mère, accusée d'avoir une fille émigrée, est mise en prison à Chambéry le 16 août 1793. Elle récupèrera sa petite-fille à sa libération et l'élèvera en Savoie comme sa propre fille.
La famille de Maistre se réfugie à Lausanne où elle réside pendant quatre ans. Joseph remplit diverses missions pour le compte de son souverain, en qualité de correspondant des bureaux du ministère des Affaires étrangères Sardes. Responsable d'un réseau de Renseignements en Suisse, il doit notamment aider au recrutement de ses compatriotes pour accroître l'effectif des résistants de l'intérieur. En 1794, il publie à Lausanne les Lettres d'un royaliste savoisien à ses compatriotes. En 1795, il publie un pamphlet intitulé : Lettre de Jean-Claude Têtu, maire de Montagnole, à ses concitoyens. Ce libelle contre-révolutionnaire est tiré à plusieurs milliers d'exemplaires et va être lu avidement en Savoie. Le Conseil général demande en vain à la République de Genève d'en saisir les nouvelles éditions. Joseph de Maistre séjourne à Lausanne jusqu'en 1797, année au cours de laquelle il rejoint le roi à Turin.
Les troupes françaises ayant envahi le Piémont en 1798, la famille de Maistre se réfugie à Venise, après un périple mouvementé: Les soldats français du poste de contrôle qui ont intercepté leur embarcation sur le Pô, ne sachant pas déchiffrer leurs papiers d'identité, libèrent les voyageurs qui se déclarent originaires du canton de Neuchâtel, sujets du roi de Prusse. Le roi Charles-Emmanuel IV, déchu du duché de Savoie, abdique son trône de Piémont et se retire dans son royaume de Sardaigne. En 1799, alors que Charles-Emmanuel IV est revenu sur le continent et qu'il est retenu prisonnier à Florence, Joseph de Maistre rejoint Cagliari où il occupe le poste de régent de la Chancellerie.
Le roi Victor-Emmanuel Ier, successeur de son frère retiré dans un couvent en 1802, nomme Joseph de Maistre ministre plénipotentiaire à Saint-Pétersbourg. Ce dernier, en séjour à Rome, obtient une audience du pape Pie VII au Vatican. Il représente diplomatiquement les intérêts du royaume de Sardaigne en Russie avec un certain succès. L'ambassadeur est très apprécié de la bonne société pétersbourgeoise, dont les princes Galitzine et l'amiral Tchitchagov. Il obtient en 1805 de la part de l'amiral le poste de directeur de la bibliothèque et du musée de la Marine à Saint-Pétersbourg en faveur de son frère Xavier. Il rencontre l'empereur Alexandre Ier à de multiples reprises et devient son conseiller attitré. Pendant les 14 années de son mandat en Russie, il déploie une intense activité intellectuelle par ses études, et par ses échanges épistolaires. Parmi ses correspondants royalistes français, on relève les noms des comtes de Blacas et d'Avaray, représentant Louis XVIII à Mitau,(Jelgava) et du vicomte de Bonald.
Le premier Traité de Paris (1814) consacre le démantèlement de la Savoie, entre la France (qui conserve Chambéry et Annecy), la Suisse et le Royaume de Piémont-Sardaigne. Depuis Saint-Pétersbourg, où il résida jusqu'à 1816, Joseph de Maistre est déchiré : « Ma malheureuse patrie est dépecée et perdue. Je demeure au milieu du monde sans biens, et même, dans un certain sens, sans souverain. Étranger à la France, étranger à la Savoie, étranger au Piémont, j'ignore mon sort futur... ».
Le deuxième traité de Paris, confirmé par le congrès de Vienne, consacre la restitution de la totalité de la Savoie, du comté de Nice et du Piémont au roi de Sardaigne. Parvenu à Turin, le roi Victor-Emmanuel Ier prend possession de ses états et rétablit en grande partie l'ancien régime.
Pendant cette période, en Russie, Joseph de Maistre est convaincu de prosélytisme religieux, sous l'influence des Jésuites. Il serait, dit-on, à l'origine de la conversion au catholicisme de la comtesse Rostopchine et de sa fille, la future comtesse de Ségur. Les Jésuites sont expulsés de Saint-Pétersbourg et de Moscou en 1815 et quitteront définitivement la Russie en 1820. De son côté le représentant du roi de Sardaigne estime qu'il est soupçonné à tort et demande son rappel. Il rejoindra Turin en 1817.
Joseph de Maistre, sur la route du retour, va passer trois semaines à Paris au mois de mai 1817. Il obtient une audience de Louis XVIII qui le reçoit froidement : Auteur personnel de la Charte de 1814 octroyée aux français, qui intègre certains principes de la Révolution par opposition au théoricien de la Monarchie absolue auquel il est confronté, le roi de France a sur le cœur les critiques formulées par l'auteur de l’Essai sur le principe générateur des Constitutions politiques: « Une des grandes erreurs d'un siècle qui les professa toutes, fut de croire qu'une constitution politique pouvait être écrite et créée a priori, tandis que la raison et l'expérience se réunissent pour établir qu'une constitution est une œuvre divine, et que ce qu'il y a précisément de plus fondamental et de plus essentiellement constitutionnel dans les lois d'une nation ne saurait être écrit ».
L'écrivain savoisien, devenu illustre dans la France de la Restauration, est invité à l'Académie française. Les académiciens lui font une ovation. Dans le discours de bienvenue, sa fille Constance de Maistre qui l'accompagne, relève un beau compliment : « C'est ici, au milieu de nous, que vous devriez être, monsieur le comte, et nous vous considérons comme l'un des nôtres ».
À son retour, Joseph de Maistre est nommé président de la Chancellerie, avec rang de ministre d'État. Il meurt à Turin le 26 février 1821 10. Il y repose dans la Chiesa dei Santi Martiri.


La franc-maçonnerie
Joseph de Maistre est dès 1773, membre de la loge maçonnique de La Parfaite Union qui relevait de la Loge Saint-Jean des Trois Mortiers, à l'Orient de Chambéry, créée en 1749 sous les auspices de la Grande Loge unie d'Angleterre. Il a les titres de Grand Orateur, de Substitut des généraux et de Maître symbolique. C'est une des premières loges maçonniques créées en Europe continentale, après Paris. Il entend concilier son appartenance à la franc-maçonnerie avec une stricte orthodoxie catholique : en outre, il refuse les thèses qui voyaient en la Franc-maçonnerie et l'illuminisme les acteurs d'un complot ayant amené à la Révolution.
Avec quelques frères de Chambéry, il fonde en 1778, la loge réformée écossaise de « La Sincérité », qui dépend du Directoire écossais dont l'âme est Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), disciple de Joachim Martinès de Pasqually. Il est reçu chevalier bienfaisant de la Cité Sainte sous le nom de eques Josephus a Floribus (ce surnom fait allusion aux fleurs de souci de ses armoiries). On retrouve dans son œuvre les enseignements de la maçonnerie: providentialisme, prophétisme, réversibilité des peines, etc; hautement investi dans la vie de cette société initiatique, à la veille du Convent de Wilhelmsbad (1782), il fait d'ailleurs parvenir à Jean-Baptiste Willermoz son célèbre Mémoire au duc de Brunswick. Il entretient par ailleurs une amitié avec Louis-Claude de Saint-Martin, pour lequel il avait une vive admiration, se faisant fort, disait-il, « de défendre en tous points l'orthodoxie », d'où son attrait pour le martinisme. Lors de son séjour à Turin, en 1793, Joseph de Maistre adhère à la loge de La Stricte Observance (La Stricta Osservanza) qui relève du Rite écossais rectifié. Enfin, à Saint-Pétersbourg, il fréquente la loge de M. Stedingk, ambassadeur de Suède auprès du Tzar.
Au total, Joseph de Maistre a joué un rôle actif dans la Franc-maçonnerie pendant environ 40 ans, et il est parvenu aux grades les plus élevés du rite écossais et du martinisme. Il est répertorié sur la liste des francs-maçons célèbres dans le monde. Son tablier rituel a été longtemps exposé au musée de la franc-maçonnerie du Grand Orient de France, 16 rue Cadet à Paris. L'actuel conservateur l'a retiré, n'étant pas certain de son authenticité.


Les écrits maçonniques
Joseph de Maistre a publié en 1782 le Mémoire au duc de Brunswick à l'occasion du Convent de Wilhelmsbad et en 1793 le Mémoire sur la Franc Maçonnerie adressé au baron Vignet des Etoles.
"Le Mémoire de 1782 est bien connu de tous les historiens de l'Ordre. Maistre, avec beaucoup de bon sens, nie les origines fabuleuses de l'Ordre et détruit la légende des Supérieurs inconnus. Il réclame un choix plus rigoureux des candidats, puis fixe les linéaments des trois premiers grades, celui d'Apprenti étant axé sur la bienfaisance, celui de Compagnon sur l'Instruction des gouvernements et l'Union des Églises , celui de Maître sur le christianisme transcendantal. Pour le gouvernement de l'Ordre, il propose un grand Maître, aux pouvoirs limités, mais sans préciser le mode de recrutement des dignitaires. Il va sans dire que cette conception de la Maçonnerie qui nous paraît aujourd'hui assez étrange et, de toute façon très éloignée des modes anglaises - qui interdisait toute discussion politique ou religieuse - ne reçut jamais l'ombre d'une application pratique.
"Le Mémoire de 1793 est moins connu et ne manque pourtant pas d'intérêt. Le roi de Sardaigne avait interdit les Sociétés secrètes dès 1791 et faisait grise mine à ses anciens membres. Disons à sa décharge que de nombreux étrangers à l'aristocratique Parfaite Sincérité et en relation avec le Grand Orient de France avaient accepté de bon cœur l'annexion de la Savoie à la France et exercèrent d'importantes fonctions publiques. Joseph de Maistre, désireux de rentrer en grâce, fait un exposé parfaitement précis - mis à part les jugements de valeur que nous ne sommes pas obligés de partager - des origines et du développement de l'Ordre. Et il termine en faisant l'éloge des maçons mystiques allemands, en pourfendant leurs adversaires...


Le corps politique prime l'individu
Pour Joseph de Maistre, l'individu est une réalité seconde par rapport à la société et l'autorité. La société ne peut fondamentalement pas se définir comme la somme des individus qui la composent. En cela, il critique la conception de Jean-Jacques Rousseau : il est pour Joseph de Maistre impensable de constituer une société à partir d'un contrat social. Les individus ne peuvent pas fonder les sociétés, ils en sont incapables de par leur nature. Le pouvoir forme les individus, mais les individus ne forment pas le pouvoir.
Joseph de Maistre affirmait qu'il n'avait jamais vu d'Homme : il voulait dire par là que l'Homme, en tant qu'entité abstraite, n'existe pas. L'Homme appartient avant tout à la société. On peut donc voir des êtres qui ne peuvent se définir que par rapport au contexte particulier dans lequel ils vivent, par rapport à l'organisme politique dont ils sont une cellule. En d'autres termes, un individu isolé n'est rien, puisqu'il est abstraitement séparé de l'autorité et des traditions qui unissent la société. Ayant surtout une tendance destructrice (étant par essence des êtres corrompus et des facteurs négatifs aux yeux du théoricien), les hommes parviennent surtout à détruire la société. Encore qu'ils n'en soient même pas capables, puisqu'ils sont portés par une Providence qui se sert des individus pour la régénérer.


La Providence
La Providence est un concept important chez Joseph de Maistre. Ainsi la Révolution, bien qu'elle semble être une initiative d'individus, est en fait, à ses yeux, une manifestation de la Providence, qui ne cesse d'intervenir dans le cours des affaires humaines (c'est également pour lui le cas des guerres). Cela est pour lui visible dans le déroulement de la Révolution Française : le fait même qu'elle dégénère prouve qu'une force supérieure était le moteur de cet évènement.
Pour Joseph de Maistre, le corps politique étant constitué à l'image d'un organisme vivant, il peut quelquefois être malade : cette maladie se révèle par l'affaiblissement de l'autorité et de l'unité qui lient la société. Aussi, pour punir les hommes et régénérer efficacement la société, la Providence les entraîne dans des rébellions contre l'autorité, telles que la Révolution Française. Les Hommes, se croyant maîtres de leur destin, se lancent en réalité dans l'exécution de leur propre châtiment, devenant leurs propres bourreaux (ainsi Joseph de Maistre analyse-t-il le régime de la Terreur comme une conséquence inhérente au mouvement révolutionnaire). La révolution une fois passée, telle un remède, l'organisme politique est débarrassé des éléments qui l'affaiblissent; le pouvoir est plus fort, la société davantage unifiée. Le sacrifice des individus est un mal nécessaire pour la sauvegarde du corps social, et Joseph de Maistre, dans ses formulations les plus imagées, n'hésite pas à évoquer le sang que réclame la terre pour rendre la justice, et qu'elle obtient par la guerre que se font les Hommes.
Le rapport entre l'individu et la Providence reste très paradoxal dans la pensée de Joseph de Maistre : les hommes sont à la fois capables de bouleverser la société dans laquelle ils vivent, et dépossédés de leur rôle actif par la Providence, qui en fait fondamentalement des êtres passifs.


La théocratie, étroite alliance du pouvoir et du religieux
Si Joseph de Maistre s'en prend au régime républicain et au protestantisme, c'est qu'il les considère comme des productions individuelles. Le premier est un gouvernement divisé, puisqu'il met les individus au pouvoir ; le protestantisme est, quant à lui, une religion négative (religion qui proteste et n'affirme rien de positif à ses yeux), qui dissout en refusant l'autorité, l'insurrection de la volonté individuelle contre la raison générale. L'individu est en effet un facteur qui divise, là où le pouvoir et l'autorité unifient.
Toute religion doit pour de Maistre être sociale ; or, le protestantisme n'étant pas social à ses yeux, voire anti-souverain par nature, il n'est pas une religion. C'est pourquoi de Maistre considère que toute religion, du moment qu'elle sert à l'unité sociale, est susceptible de porter un gouvernement, et d'être portée par ce dernier.
La religion doit apporter des croyances communes, et apporter la cohésion de l'organisme politique. Elle doit protéger le pouvoir autant que le pouvoir doit la protéger. Il n'est donc pas question de séparer l'Église de l'État, bien au contraire. C'est pourquoi Joseph de Maistre prônera un régime de type théocratique, dans lequel la religion tient un rôle fortement structurant, devant apprendre aux sujets le respect aveugle pour l'autorité et « l'abnégation de tout raisonnement individuel ».
Si Jean-Jacques Rousseau s'accordait également à dire que la religion était nécessaire au corps politique, il rejetait en revanche le christianisme comme étant ennemi de la république. Chez Joseph de Maistre, à l'inverse, la religion chrétienne est la plus adaptée, car elle soutient parfaitement la monarchie et se base sur la tradition, sans laquelle il est impossible que soit fondée une religion. Or, la monarchie est elle-même le régime politique le plus adapté : comme il l'affirme dans ses Considérations sur la France, la monarchie est un équilibre qui s'est constitué au fil de l'histoire. C'est un régime tempéré mais fort, et qui ne tend pas, selon lui, vers la violence, à l'inverse de la république qu'il voit comme un régime déséquilibré et instable. De plus, la monarchie est le régime qui respecte le plus ce qu'il considère comme un fait naturel : à savoir l'inégalité entre les hommes, que la monarchie intègre dans son organisation, et qui est relativisée grâce à l'égalité de tous dans leur assujettissement au roi. Pour Joseph de Maistre, la république y substitue une égalité utopique, qui ne prend pas en compte la véritable nature de l'Homme. Car ce dernier doit vivre en société, et toute société doit être structurée autour d'une hiérarchie, ce qui justifie donc l'existence d'ordres dans la société.
Pour Joseph de Maistre, le pouvoir temporel doit se conformer aux voies de la Providence. Un régime théocratique est alors pour lui le plus adapté, tandis que la reconnaissance de l'autorité religieuse le pousse à reconnaître la suprématie temporelle du pape.

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