Céline - Février 1944 La prophétie de Louis-Ferdinand Céline
C’est une scène d’anthologie, digne des « tontons flingueurs » : Benoist-Méchin (secrétaire d’Etat dans le régime de Vichy), Drieu La Rochelle, Louis-Ferdinand Céline (écrivains français) et un ami de ce dernier (Gen Paul, artiste-peintre) se trouvent dans les locaux de l’ambassade d’Allemagne à Paris, en février 1944. Les quatre Français ont été invités à dîner par l’ambassadeur allemand, Otto Abetz, et la conversation aborde les sujets politiques.
Abetz essaye de convaincre les Français que les reculs allemands ne sont que momentanés : « Nous reculons pas à pas en nous cramponnant au terrain… chaque minute ainsi gagnée est utilisée au maximum (…) Les usines tournent à plein… notre production de guerre augmente d’une façon vertigineuse… cette augmentation n’est pas seulement quantitative, mais qualitative. Nos nouveaux chars Super-Tigre surclassent de loin les T-34 russes et les Sherman américains. En ce qui concerne l’aviation, notre supériorité est plus grande encore ». - « C’est la forge des Nibelungen ! », remarque Drieu, mi-ironique. Abetz, un peu vexé, continue à développer ses arguments techniques et fait allusion aux « armes nouvelles ». A ce moment Benoist-Méchin décrit L-F. Céline, qui se trouve assis juste en face de lui.
Les passages en gras sont soulignés par le compilateur.
Je le regarde attentivement, assis devant moi à la table de l’ambassade d’Allemagne. Son visage est pâle, douloureux, presque inexpressif. Mais ses narines frémissent et je sens s’accumuler en lui une force éruptive (…).
Et soudain il explose :
- Assez ! dit-il, assez ! en frappant la table de ses deux mains au point de faire vibrer les verres. J’en ai assez d’écouter ces conneries ! Vous n’y êtes pas du tout… Vous croyez faire les malins, vous vous triturez les méninges autour d’une table bien servie, tandis que le monde s’écroule… Ma parole, vous avez une taie nacrée sur les yeux, du plomb dans les oreilles ! Et vous, monsieur l’ambassadeur, vous vous retranchez derrière des chiffres ramassés dans la poubelle de technocrates gâteux ! Mais ces chiffres ne prouvent rien ! Ce qui compte, ce n’est pas ce que vous produisez, mais ce que produisent vos ennemis ! Si vous construisez quarante mille avions, les Américains en construiront deux cent mille. Si vous construisez cent mille chars, ils en construiront un million. A vos armes secrètes, ils opposeront des armes plus secrètes et plus meurtrières encore. Vous n’y pouvez rien : ils sont la masse et la fonction de la masse est de tout écraser. Pendant ce temps, sournoisement, vous nous cachez l’essentiel. Pourquoi ne nous-dites pas qu’Hitler est mort ?
- Hitler est mort ? s’exclame Abetz en écarquillant les yeux.
- Vous le savez aussi bien que nous ! Seulement, vous ne voulez pas le dire. Mais on n’a pas besoin d’être ambassadeur pour le savoir : ça crève les yeux ! Les Juifs l’ont remplacé par un des leurs !
- Abetz, Drieu et moi en avons le souffle coupé. Nous connaissions l’audace de Céline. Mais nous ne pensions jamais qu’il pût la pousser aussi loin. Maintenant qu’il est lancé, où s’arrêtera-t-il ? Dire que l’ambassadeur nous avait invités à passer avec lui un agréable moment de détente !
- Je vous dis que c’est plus le même homme, poursuit Céline. On l’a changé du tout au tout. On a mis un autre à sa place. Regardez-le ! Chacun de ses gestes, chacune de ses décisions sont faits pour assurer le triomphe des Juifs. Alors, faut être logique ! Les Juifs ont réussi un coup fumant, la plus grande mystification de l’Histoire ! Ils ont fait disparaître Hitler dans une trappe et l’ont remplacé par un type à eux. Remarquez qu’il se montre de moins en moins en public. C’est pour qu’on ne s’aperçoive pas de la différence. C’est idiot, d’ailleurs. Personne n’est plus facile à imiter. Mon ami Gen Paul, ici présent, l’imite à merveille. N’est-ce pas, Gégène, que tu l’imites bien ? Il est marrant quand il fait ça ! Il lui suffit d’une pincée de scaferlati qu’il se colle sous les narines, pour remplacer la moustache. Allons, mon bon Gégène, te fais pas prier ! Ici on est entre copains. Montres-nous comment tu sais bien faire ton petit Hitler…
- Gégène hésite un peu. Mais il finit par s’exécuter. Il sort une blague à tabac de sa poche, en tire une pincée de scaferlati, la malaxe entre trois doigts et la place sous son nez. Puis, d’un geste brusque, il se rabat une mèche de cheveux en travers du front, prend une pose napoléonienne (une main dans le dos, l’autre dans l’entrebâillement de son gilet), roule des yeux furibonds et dit d’une voix gutturale :
- Raou, raou, raou, raous !
Il ressemble étonnamment à Hitler. Aussi à Charlot, à Groucho Marx et à Félix le Chat. Abetz ne sait plus quoi faire. Mais il est pris, comme nous tous, d’une irrésistible envie de rire.
- Vous voyez ! dit Céline d’un air tragique, ce n’est pas plus difficile que ça ! Maintenant c’est un Juif qui dit « Raous » à sa place. Tout est prêt pour leur triomphe. Et je vous assure qu’ils n’auront pas le triomphe gracieux. On n’aura pas affaire aux petits Juifs mélancoliques de la rue des Rosiers, avec leur démarche en canard et leurs yeux langoureux. Pas même aux Rothschild, ces princes de la diaspora ! Non, non ! Aux Juifs gras et replets de New York et de Chicago, aux formidables empaqueteurs de viande, aux banquiers de Wall Street qui psalmodient leurs ordres de bourse sur le ton des rabbins devant le Mur des lamentations, aux Morgenthau, aux Baruch, aux Wertheimer, ces prix Nobel de la déconfiture, ces grands stratèges de la démoralisation ! Ils vont rééduquer le monde en moins de deux, vous allez voir ! Hitler fait tout pour préparer leur avènement, pour faire sauter le dernier bastion qui les sépare de la domination universelle. Merveilleux collaborateur ! Il les rafle partout, pour les envoyer dans ses camps. Pour en faire quoi ? Je vous le demande ! Des engrais, à ce qu’on m’assure. Il n’y avait qu’un Juif pour avoir une idée pareille ! A qui voulez-vous qu’elle profite, sinon à eux ? Quand ils auront gagné la guerre ils mettront cet engrais en petits sachets et le vendront sur les places publiques de toutes les villes du monde. Une grande loterie intercontinentale. « Achetez-moi mes petits sachets ! Achetez-moi mes petits sachets ! Vous refusez ? Bien. Vous serez fusillé ! – Mais avec quoi voulez-vous que je vous les paye ? – Avec des larmes. Nous, voilà sept mille ans qu’on pleure ! Chacun son tour ! ». Quand il n’y aura plus de sachets, on en fabriquera d’autres. On en fabriquera jusqu’à la consommation des siècles ! Pourquoi arrêter en si bon chemin le plus formidable business de tous les temps ?... Je vous le dis : Fertig ! C’est fini. Le Reich Kaputt ! Le faux Hitler va tout faire s’écrouler dans un branle-bas d’Apocalypse…
Abetz est sur des charbons ardents.
Il a une admiration justifiée pour l’auteur du Voyage au bout de la nuit. Il connaît aussi Paris. Il sait que les mots y volent plus légèrement qu’ailleurs. Mais les serveurs en veste blanche qui tournent autour de la table avec des visages impassibles savent assez de français pour comprendre ce que dit Céline. Hitler Kaputt se passe de traduction. Et même s’ils ne comprenaient pas, la gesticulation de Gen Paul a été suffisamment éloquente. Or, parmi ces serveurs, il y en a qui doivent certainement faire partie de la police. Nul doute qu’ils ne fassent un rapport à leurs chefs. Ils y décriront la scène incroyable dont ils viennent d’être témoins. Ils y diront que l’ambassadeur du Reich a assisté aux vaticinations de Céline, au mimodrame de Gen Paul, sans élever de protestation. Nous risquons tous, tant que nous sommes, de terminer la nuit au poste…
Alors, devancer une dénonciation en faisant arrêter Céline sur-le-champ ? Abetz y répugne. Il se doute bien que Drieu et moi demanderions à subir le même sort. Et puis, je le soupçonne, tout au fond de lui-même, d’être fasciné par ce que vient de dire l’auteur de Mort à crédit. Peut-être une solution consisterait-elle à prier les serveurs de se retirer et de nous laisser seuls ? Non. Cela ne ferait que les confirmer dans l’idée que ce qui a commencé sous la forme d’une conversation anodine s’est terminé en conjuration.
- Voyons, voyons Céline, vous perdez la tête, dit enfin l’ambassadeur. Songez un peu où vous êtes et mesurez vos paroles !
- Mesurer mes paroles ! Mesurer mes paroles ! s’écrie Céline que cette intervention a achevé d’exaspérer. C’est tout ce que vous trouvez à me dire ? Mais vous, est-ce que vous mesurez ce qui va vous tomber sur le crâne ? Un chapelet de Vésuves, une farandole de volcans ! L’Allemagne disparaîtra dans un ouragan de soufre et de feu ! La terre se soulèvera pour engloutir ses villes, ou du moins ce qui en restera. Tout sera pilonné, calciné, volatilisé, anéanti ! Les Russes défileront en triomphateurs sous la porte de Brandebourg. Et Hitler, ayant achevé sa tâche, se sera volatilisé sans laisser de trace. Pfft ! Parti ! Envolé on ne sait où ! On ne retrouvera pas un bouton de sa tunique, pas un poil de sa moustache ! Vous verrez – si toutefois vous êtes encore en vie.
- Céline, je vous en prie ! gémit l’ambassadeur, qui ne sait plus que faire.
- Vous croyez que j’exagère, parce que je vois ce qui nous attend plus clairement que vous ? Ce n’est pas ma faute si je ne suis pas ambassadeur ! Vous ne voyez pas l’avenir parce que vous n’avez pas compris le passé. Ma parole, je vis dans un monde d’aveugles ! (…)
Extrait de Jacques Benoist-Méchin, A l’épreuve du temps, tome 2, Julliard 1989
Commentaire :
Il s’agit bel et bien d’une remarquable prophétie : le « dingue » Céline a vu clair ! – plus clair que beaucoup d’autres. Il annonce dès février 1944 : (1) le triomphe de la quantité sur la qualité (qui se poursuit…) ; (2) le triomphe des Juifs ; (3) la destruction de l’Allemagne dans un ouragan de feu ; (4) la « disparition » d’Hitler (les preuves matérielles définitives de sa mort ne seront connues qu’après la chute de l’URSS en 1991) ; (5) le chantage permanent que les juifs font subir au monde entier depuis 1945 (« Vous obéissez à tous nos caprices, sinon on vous accuse d’être antisémites… »).
La scène de l’ambassade d’Allemagne se poursuivit dans la même ambiance : Céline fait observer qu’il n’y a pas eu de vraie guerre franco-allemande en 1940 parce que les Français, selon lui, se sont laissés battre presque sans combattre, par refus de la guerre souhaitée par les Juifs : « Il n’y a pas eu de guerre franco-allemande. Nous n’étions pas concernés. Il y a eu une guerre judéo-hitlérienne… La France a été entraînée dans la guerre comme dans un coup fourré. Le pays l’a senti confusément. C’est pourquoi il s’est rétracté ».
Céline tient ensuite des propos pessimistes sur le sang blanc et le péril jaune : « Le sang blanc n’est pas dominant. Vous n’imaginez pas combien il est fragile et délicat. Il s’évanouit comme une jeune fille au premier croisement. Les sangs dominants sont le sang sémite, le sang noir et le sang jaune. (…) derrière Staline il y a encore la Chine. Le seul pays du monde qui possède à la fois le nombre et un sang dominant. Il finira par déferler sur nous et nous engloutira tous, comme une poignée de larves blanchies à l’eau de Javel ! (…) Les Parisiens en feront une tête quand ils verront les avant-gardes chinetoques déboucher aux Galeries Lafayette et se mettre à piller le rayon des frivolités !… Il ne restera que des ribambelles d’enfants mongoliens et un soleil jaune se couchant sur un monde encore plus jaune que lui ». Céline, en transe, esquisse un pas de danse autour de la table… Abetz sourit, puis fait discrètement appeler son chauffeur et lui dit : « Mr. Céline est souffrant, veuillez le raccompagner chez lui »…
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