La fin de l’empire romain d’Occident
LE LIVRE de Michel de Jaeghere, Les derniers jours, la fin de l’empire romain d’Occident, offre en exergue cette citation de René Grousset, qui donne le ton : « Aucune civilisation n’est détruite du dehors sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur, qu’il ne se soit préalablement suicidé. Et une société, une civilisation, ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leur raison d’être, quand l’idée dominante autour de laquelle elles étaient naguère organisées leur est comme devenue étrangère. Tel fut le cas du monde antique. » Lorsque, le 4 septembre 476, le chef barbare Odoacre exila le dernier empereur Romulus Augustule dans la région de Naples, l’empire d’Occident était moribond. Il ne subsistait guère qu’en Italie et l’empereur était soumis au bon vouloir de ses maîtres de la milice. Son pouvoir était inexistant.
Le chef barbare mit fin à cette illusion, fit empaqueter les insignes impériaux et les envoya à Constantinople, à l’empereur d’Orient. L’empire d’Orient subsista, quant à lui, encore un millénaire, protégé par la situation géographique de sa capitale, dotée de fortifications imprenables, mais qui finiront, comme on le sait, par s’écrouler sous les coups de boutoir des Turcs. Tout le monde connaît cette phrase de Paul Valéry : « Nous savons désormais que les civilisations sont mortelles ». L’empire romain d’Occident venait de mourir. Et pourtant, l’événement le plus formidable de l’histoire universelle passa inaperçu, écrira en 1973 l’historien Momigliano.
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
Au sommet de l’empire, le monde semblait avoir atteint sa plénitude, la civilisation s’étendait du désert nubien à la forêt germanique, de l’Atlantique au royaume des Parthes. Les destinées paraissaient accomplies. Et puis, ce fut la chute. Le IIIe siècle avait été secoué par de terribles crises. Entre 235 et 288, dix-huit empereurs se succèdent. La plupart meurent de mort violente. Le pire eut lieu en 260. L’empereur Valérien fut fait prisonnier, par traîtrise, par les Perses en Orient (260). La légende raconte que le roi perse Shapur en fit son valet d’écurie. A sa mort, sa peau tannée et peinte en rouge, empaillée, aurait été suspendue au toit d’un temple. Pour l’empire, l’humiliation est terrible. L’imperator cesse d’être invictus, invaincu. Les provinces frontières avaient été ravagées par la guerre et les invasions. Les coups de force avaient succédé, pendant des décennies, aux usurpations et aux séditions militaires. A la fin du IVe siècle, Théodose fit du christianisme la religion d’un empire dont il avait, peu ou prou, réussi à reconstituer l’unité. Mais, quelques années après la mort de Théodose (395), saint Ambroise comparera les villes jadis opulentes de la plaine du Pô à des “cadavres”. Un siècle plus tard, la ville de Rome ne comptait plus que vingt mille habitants, épuisés par les épidémies, les famines et les invasions.
“L’UNIVERS ROMAIN S’ÉCROULE”
Contrairement à ce que beaucoup d’historiens prétendent aujourd’hui, les Barbares n’avaient pas été “invités” à s’installer dans l’empire. Ils y avaient fait irruption en perçant les lignes de défense romaines. Saint Jérôme, qui avait fui Rome pour se retirer à Bethléem écrit en 396 : « C’est avec horreur que je poursuis le tableau des ruines de notre époque. Voici vingt ans et un peu plus qu’entre Constantinople et les Alpes juliennes, le sang est répandu chaque jour. Partout le deuil, partout les gémissements et l’image innombrables de la mort » Et il conclut sa lettre à son ami Héliodore : « L’univers romain s’écroule ».
Témoin de l’arrivée en Espagne de peuplades qui n’y avaient certes pas été “ininvitées”, Hydace décrit l’Apocalypse : « Les barbares pillent et massacrent sans pitié. Les humains dévorent la chair humaine sous la pression de la faim, les mères, elles aussi, se nourrissent de la chair de leurs enfants qu’elles ont tués ou fait cuire. » Un poète décrira ainsi l’irruption des Vandales, des Alains et des Suèves en Gaule en 407 : « Tout est ruiné. Les champs, les villes ont changé d’aspect. Par le fer, la peste, la famine, la captivité, le froid, la chaleur, par tous les fléaux à la fois, le genre humain périt. La paix a quitté la terre. Tout ce que tu vois touche à sa fin. » L’archéologie et la toponymie montrent le recul des terres cultivées, l’avancée des forêts, des landes et des marécages, témoignant d’un effondrement de la population des campagnes. Décimée par les épidémies, les confiscations, les incendies, celle-ci ne représentera plus, au VIIe siècle, que la moitié ou le quart de ce qu’elle fut à l’apogée de l’empire. L’Etat, résume le biographe de Gallien dans l’Histoire Auguste, était ébranlé dans le monde entier. Les transports sont paralysés par l’insécurité, les villes connaissent la disette, le brigandage compromet l’acheminement du blé d’Egypte, d’Afrique et d’Espagne vers l’Italie. Une grande épidémie (250-270) se répand en Egypte, en Afrique, en Grèce et en Illyrie. La situation est catastrophique.
LA DÉCADENCE
Et pourtant, l’empire sera sauvé, du moins sa chute sera retardée de deux siècles. Il fera l’objet, à compter du règne de Gallien, d’un spectaculaire relèvement. Le prix à payer est cependant l’abandon d’une partie de ses conquêtes. Ces deux siècles verront l’émergence de l’empire chrétien. Dès 284, Rome cessera d’être le centre nerveux du pouvoir. Trop éloignée de la frontière pour être une base militaire, trop exposée pour servir de citadelle. La fondation par Constantin de Constantinople, le 8 novembre 324, sur le site de Byzance, va donner naissance à une nouvelle capitale qui, elle, perdurera durant plus d’un millénaire. La place jouit d’une position stratégique exceptionnelle. Constamment ravitaillée par mer, elle sera à l’abri d’un blocus et se révèlera imprenable durant des siècles. Sur le plan économique, on assiste à la montée en puissance des grands propriétaires terriens qui vivent dans une luxueuse oisiveté. Apparaît aussi une classe de marchands et de spéculateurs qui ne se transformeront jamais en entrepreneurs-producteurs. La plèbe, quant à elle, s’est réfugiée à Rome ou dans les grandes villes. Beaucoup se contentent de vivre des distributions de blé du gouvernement. L’entretien et le ravitaillement des immenses armées coûte une fortune et mobilise de colossales ressources en vivres, en bêtes de trait, en matériel de transport, retirées du travail productif sans que des butins de guerre ne viennent compenser leur coût. Dans les campagnes, la main-d’oeuvre servile a été décimée par les guerres. Le brigandage se développe. Les villes sont menacées de disette. L’exode rural entraîne la concentration dans les villes de populations qui sont consommatrices mais non créatrices de richesses.
Les empereurs choisissent des moeurs orientales Dioclétien a ordonné qu’on l’adore. Les manteaux et les chaussures qu’il portait étaient couverts de pierreries, alors qu’auparavant la marque distinctive de l’imperium était une chlamyde de pourpre. Sous Justinien, au VIe siècle, les sénateurs devront se mettre à plat ventre devant l’empereur et l’impératrice pour leur baiser les pieds… A l’époque de l’eunuque Eutrope, raconte l’historien grec Eunape au début du Ve siècle, « la tribu des eunuques devint si nombreuse que certains qui portaient barbe, dans leur hâte suraiguë de devenir eunuques et eutropiens, perdirent leur intelligence et leurs testicules afin de jouir des mêmes avantages. » La corruption, quant à elle, était endémique. Peu d’espoir à attendre des juges. Saint Jean Chrysostome dira que les juges sont « des voleurs et des homicides qui n’ont de juges que le nom ». Les fausses accusations pullulent évidemment jusqu’à ce que Constantin, en 335, prenne un édit interdisant aux juges de recevoir les dépositions des dénonciateurs. Ces faits démontrent les lenteurs des progrès de la morale chrétienne dans l’empire. La plèbe des grandes villes passe sa vie au spectacle. L’historien Amien raconte : « Le cirque est son temple ». Le peuple se complaît dans la fainéantise, la cruauté et la luxure. Quant aux combats de gladiateurs, interdits par les réformateurs chrétiens en 325, ils ne disparaîtront en réalité qu’un siècle plus tard pour céder la place aux courses de char et aux reconstitutions de chasses exotiques. Saint Augustin raconte qu’après le sac de Rome, des réfugiés, à peine parvenus à Carthage, s’étaient plongés dans les délices de l’amphithéâtre. Salvien, évoquant la folie des cirques et la luxure des théâtres, dira qu’alors que les barbares étaient au seuil des murs, « les uns étaient égorgés au dehors, les autres forniquaient au-dedans. »
UNE TERRIBLE DÉNATALITÉ ET SES CONSÉQUENCES
En 90 av. J.-C., Rome comptait 900 000 citoyens. On a vu précédemment qu’en l’an 500, il ne restait que 20 000 habitants alors qu’ils étaient 1 200 000 au commencement du IIe siècle. L’empire comptait, à son apogée, 80 millions d’habitants, dont 10 millions en Italie, 10 à 11 millions en Gaule, 6 à 8 millions en Espagne, 7 millions en Afrique et autant en Egypte. Les guerres avaient entraîné de terribles massacres. Un million de Gaulois auraient ainsi péri lors de la guerre des Gaules, entre 58 et 51 av. J.-C. La dénatalité était de plus terrible. A partir du IIIe siècle, le déclin démographique devint manifeste. L’empereur Auguste tenta d’y remédier. Il fit de l’adultère un délit, interdit aux pères de s’opposer au mariage de leurs enfants, accorda des privilèges aux parents de trois enfants, exclut les hommes sans enfants des charges de gouverneur de province, frappa d’incapacité successorale les célibataires. Les résultats furent malheureusement peu significatifs. La mortalité infantile atteignait d’immenses proportions, l’avortement et l’homosexualité étaient très répandus. On estime que le taux de fécondité des familles aristocratiques ne dépassait pas 1,8 enfant par femme au IVème siècle. Celui des familles pauvres était sans doute encore plus bas. Les guerres, les famines, les dévastations avaient accru la mortalité dans des proportions considérables. La crise économique, l’insécurité, le brigandage décourageaient la natalité. La Gaule perdit 20 % de sa population. Les campagnes y étaient « envahies par les marais et ensevelies sous les broussailles ». Rome perd 5 000 habitants par jour du fait des épidémies. Les inscriptions de la province de Belgique démontrent que la moitié d’une classe d’âge meurt avant d’avoir atteint 20 ans. Faute de bras, les terres désertes sont nombreuses. Sous Théodose, raconte Zosime, l’empire fut « réduit dans un état tel qu’on ne reconnaissait même pas les sites sur lesquels (des villes) se trouvaient ». Des tribus profitent de la porosité des frontières pour s’installer sur des terres abandonnées. Au total, c’est plus d’un million de Barbares qui pénètrent par immigration dans l’empire, entre le règne de Dioclétien et celui de Théodose.
La figure traditionnelle du Barbare, les mains liées derrière le dos, est remplacée sur une monnaie frappée en 350 par celle d’un Romain faisant sortir un Barbare de sa hutte en le tenant pacifiquement par la main. Tout au long du IVe siècle, les empereurs seront convaincus que l’immigration est une chance pour l’empire romain. Tragique erreur… Confronté à d’énormes difficultés de recrutement et à la pénurie des hommes, l’empereur Valentinien 1er décidera, en 367, de réduire de 1 mètre 69 à 1 mètre 62 la taille minimale pour entrer dans les légions. Et puis surtout, on prit l’habitude de compléter les effectifs avec des soldats barbares qui accèderont peu à peu aux grades d’officiers supérieurs. Fustel de Coulanges notera que « les nations civilisées appliquent les neuf dixièmes de leur force à la paix et au travail ; les barbares appliquent à la guerre tous leurs bras et toute leur âme. Il peut donc arriver que des sociétés très fortes soient matériellement vaincues par des sociétés très faibles ». L’année 375 et l’invasion des Huns annoncent la catastrophe qui va disloquer l’empire romain. Ammien Marcellin décrira les Huns comme « trapus et contrefaits, si monstrueusement laids et mal formés, que l’on dirait des bêtes à deux jambes, ou des gargouilles qui ornent les pierres d’angle des ponts ». L’empire survivra encore un siècle avant de disparaître. Des souverains d’un an, d’un mois, d’un jour se succèdent. Leur liste prend l’aspect d’un inventaire poétique : Avitus, Majorien, Sévère, Anthémius, Olybrius, Glycerius, Julius Nepos, jusqu’à Romulus Augustule, cet adolescent qui sera le dernier empereur.
LES RAISONS DE LA MORT DE L’EMPIRE
Les explications de la mort de l’empire romain d’Occident sont multiples. On en répertorie plus de deux cents ! Machiavel dénoncera la décadence de la virtù, l’extinction de la force d’âme, suscitée par le règne de l’argent. L’Allemand Herder évoquera « un corps épuisé, un cadavre étendu dans son sang », Voltaire et Edward Gibbon pointeront la responsabilité du christianisme. Voltaire écrira : « L’empire romain avait alors plus de moines que de soldats. Le christianisme ouvrait le ciel, mais il perdait l’empire ». Gibbon dira que les derniers débris de l’esprit militaire s’ensevelissaient dans les cloîtres. Nietzsche accusera le christianisme d’avoir été le « vampire de l’imperium romanum ». Georges Sorel incriminera la disparition des mythes fondateurs de l’Etat païen sous le double coup de boutoir des Pères de l’Eglise et de l’esprit critique. Le savant allemand Otto Seeck avancera une explication darwiniste : l’élimination méthodique des meilleurs par les guerres, les luttes sociales et les persécutions. Max Weber pointera du doigt la folie qui avait consisté, pour un empire fondé sur les communications maritimes, à s’être imprudemment enfoncé dans les terres. Certains écriront que l’empire était mort d’avoir confié sa défense à un prolétariat étranger aux lumières de la civilisation et d’avoir implanté en Occident une monarchie à l’orientale incompatible avec ses traditions. Un géographe américain incriminera deux siècles de sécheresse quand d’autres études mettent en cause l’empoisonnement des élites romaines par le plomb des canalisations. Et puis, il y a bien sûr l’immigration, l’ébranlement causé par la grande migration des Huns et l’installation des Barbares au coeur de l’empire. Rome n’était plus dans Rome… Notons cependant que les peuples nouveaux venus dans l’empire n’ont pas dû représenter plus de 3 à 4 % de la population. Les raisons de la disparition de l’empire romain d’Occident sont en fait multiples. Paul Veyne écrit qu’elle « n’a pas eu de grande cause instructive ; ce fut un processus accidentel, fait de causes innombrables, un accident inattendu, où un grand nombre de petites causes et de petites conditions ont fait boule de neige. »
Sic transit gloria mundi… L’histoire de l’empire romain est pour nous plus qu’un avertissement. Un rappel à l’ordre.
R. S.
Les Derniers jours, Michel De Jaeghere.
Extrait de la revue Rivarol
Rivarol - PDF
www.rivarol.com
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